À l’heure où les grandes entreprises technologiques suscitent des inquiétudes croissantes quant à l’étendue de leur pouvoir, les problèmes liés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont susceptibles de se multiplier. Les problématiques sociales et de gouvernance méritent qu’on y prête une plus grande attention et les géants sectoriels doivent faire l’objet d’une surveillance réglementaire plus étroite.

Les enjeux ESG suscitent un intérêt de plus en plus vif de la part des investisseurs, quels que soient les secteurs. Les entreprises technologiques ont bonne presse quant à leur impact sur l’environnement. La plupart d’entre elles ne consomment pas des quantités astronomiques de ressources naturelles. Leurs produits et services sont porteurs de progrès technologiques facilitant à tous l’accès aux informations, ce qui a pour effet de stimuler la croissance économique.

Mais de nombreuses entreprises technologiques sont exposées à des risques sociaux et de gouvernance qu’il ne faut pas négliger. Les injonctions de plus en plus pressantes des responsables politiques visant à réglementer les activités des géants technologiques et des géants des médias devraient pousser les investisseurs à demander à ces entreprises ce qu’elles font pour gérer ces risques. Des articles récemment parus dans le New York Times et dans le Wall Street Journal laissent entendre que les autorités réglementaires élargiront le périmètre des enquêtes qu’elles mènent auprès des grandes entreprises technologiques pour dépasser le seul droit de la concurrence. Les investisseurs doivent s’efforcer d’identifier les risques ESG moins connus en se posant les trois questions suivantes :

Le combat du droit de la concurrence est-il le bon ?

Réglementer les activités des grandes entreprises technologiques comme Alphabet Inc. (la société mère de Google) et Facebook est généralement perçu comme un problème de droit de la concurrence et de lutte contre les monopoles aux États-Unis. Les lois contre les monopoles ont été mises en place par le gouvernement pour protéger les consommateurs contre les pratiques commerciales prédatrices des grandes entreprises dominantes. Cela étant, les initiatives du gouvernement américain contre les monopoles pourraient faire chou blanc car les pratiques d’Alphabet et Facebook ne nuisent pas aux consommateurs, selon nous.

Nous pensons toutefois que cela soulèvera d’autres questions d’ordre réglementaire. Par exemple, YouTube, qui appartient à Google, compte 2 milliards d’utilisateurs par mois, alors que l’écosystème Facebook (Facebook, Instagram, Whatsapp et Messenger) regroupe 2,2 milliards d’utilisateurs quotidiens. Le nombre considérable d’utilisateurs que comptent ces entreprises leur permet de bénéficier d’un effet de réseau puissant. Cependant, cela crée également des répercussions sociales inattendues

La diffusion de contenu est un bon exemple. La domination de Facebook et de Google en matière de diffusion de contenu pourrait entrer en conflit avec la longue tradition américaine en faveur de la pluralité des opinions. À ce jour encore, la Federal Communications Commission restreint fortement les droits des propriétaires d’organes de presse traditionnels afin qu’aucune entité ne jouisse d’une influence trop grande sur les « voix médiatiques » de tel ou tel marché. Il existe également des règles qui empêchent le rapprochement des réseaux de diffusion nationaux comme CBS et NBC. Compte tenu de l’ampleur de leurs audiences, YouTube et Facebook ont une portée nettement plus vaste que celle des réseaux traditionnels. De plus, aux États-Unis, les médias traditionnels et les publicitaires sont tenus de vérifier l’authenticité des informations qu’ils publient. À défaut, leur responsabilité peut être engagée.

Ce n’est pas le cas de Google et Facebook à ce jour. Les deux groupes arguent qu’ils n’ont pas le statut d’éditeurs et que, par conséquent, ils ne sont pas responsables du contenu éditorial diffusé sur leurs plateformes. Les deux entreprises se considèrent comme des plateformes qui permettent de connecter les utilisateurs et les éditeurs dans un environnement internet ouvert. Interrogé sur le sujet, Mark Zuckerberg a récemment déclaré : « je ne pense pas qu’il relève de la responsabilité de notre plateforme de supprimer des [contenus] ».

Quelles sont les obligations qui incombent aux éditeurs ?

La ligne est ténue entre « liberté d’expression » et « intox » et cela continuera à alimenter le débat. Alors que la désinformation qui a lieu sur les plateformes de Google et Facebook continue à alimenter la controverse en matière de politique, de science et dans d’autres domaines, les autorités réglementaires pourraient décider, à terme, d’obliger les géants des médias à censurer le contenu diffusé sur leurs plateformes. Sans cela, les utilisateurs pourraient commencer à douter de l’authenticité des contenus, ce qui pourrait entacher la réputation de ces plateformes.

S’il incombait aux entreprises de supprimer les contenus de désinformation de leurs plateformes, il serait de facto de leur responsabilité de décider quelles informations il conviendrait de publier. En d’autres termes, cela les ferait passer du jour au lendemain du statut de plateformes à celui d’éditeurs exerçant une influence sur l’opinion publique. Elles se retrouveraient dès lors soumises à une surveillance réglementaire qu’elles n’ont pas connue jusqu’à présent et verraient, de fait, leur responsabilité engagée.

En outre, cela serait extrêmement coûteux. En tant qu’éditeurs, ces entreprises devraient assumer la même responsabilité que les médias d’édition traditionnels quant à l’authenticité des contenus qu’elles diffusent. Alors que des millions d’heures de contenu généré par les utilisateurs sont chargées dans le système, cela signifie que les grandes entreprises technologiques seraient obligées de dépenser des sommes considérables pour surveiller et authentifier l’information, ce qui pourrait grever leur rentabilité. L’intelligence artificielle pourrait aider mais elle n’est probablement pas encore capable de réaliser cette tâche toute seule. En effet, Facebook a recruté 15 000 modérateurs pour passer au crible et supprimer les images de violence et les autres contenus jugés préjudiciables. Les investisseurs doivent prendre en compte les conséquences de ces risques sociaux sur les activités des entreprises lorsqu’ils évaluent les entreprises qu’ils détiennent en portefeuille.

Les créateurs d’entreprise ont-ils un pouvoir de contrôle trop grand ?

Au cours des 25 dernières années, les innovateurs technologiques ont négocié avec de plus en plus d’insistance pour obtenir davantage de pouvoir. Par exemple, les fondateurs de Google ont structuré l’entreprise de manière à disposer de l’immense majorité des droits de vote et, partant, de la capacité à en garder le contrôle même s’ils revendent leurs actions. Mark Zuckerberg détient à peine plus d’un quart des actions Facebook mais contrôle près de 60% des droits de vote des actionnaires. Dans un grand nombre d’introductions en bourse d’entreprises internet et technologiques, les structures à deux catégories d’actions sont la norme, ce qui limite les droits des investisseurs publics.

Bien sûr, de nombreux fondateurs/dirigeants d’entreprise continuent à jouer un rôle clés dès lors qu’il s’agit de définir la stratégie de croissance de leur entreprise. Toutefois, à l’heure où les créateurs d’entreprise jouissent de plus de pouvoir et d’influence que prévu, la question de la responsabilité est essentielle. La mise en place de conseils d’administration indépendants, la séparation des fonctions de président et de directeur général et l’existence d’une seule catégorie d’actions sont autant de pratiques de gouvernance d’entreprise fortes qu’il convient d’adopter à large échelle dans ce secteur. Nous pensons que les investisseurs doivent continuer à exhorter les entreprises à aller dans ce sens et obliger les dirigeants à rendre des comptes. Les piètres pratiques de gouvernance peuvent exposer les investisseurs à des risques graves.

Il ne s’agit que d’une partie des risques ESG auxquels les grandes entreprises technologiques et de médias seront confrontées dans les prochaines années. À l’heure où les grandes entreprises technologiques jouissent des avantages que leurs confèrent leurs vastes réseaux, nous pensons qu’elles doivent également se montrer à la hauteur de leur responsabilité du fait de leur immense pouvoir d’influence sur l’opinion publique, sans quoi, elles en subiront les conséquences à terme. Intégrer l’analyse des risques sociaux et de gouvernance dans la recherche fondamentale et les estimations de valorisation est essentiel pour les investisseurs qui cherchent à se positionner dans le secteur.

Lei Qiu est gérante du portefeuille International Technology et analyste senior « Thematic & Sustainable Equities » chez AllianceBernstein

Dan Roarty est directeur des investissements Thematic & Sustainable Equities chez AllianceBernstein

Les opinions exprimées dans ce document ne constituent pas des études, des conseils d’’investissement ou des recommandations d’investissement. Elles ne représentent pas nécessairement les opinions de toute les équipes de gestion de portefeuille d’AllianceBernstein et peuvent être révisées au fil du temps. AllianceBernstein Limited est agréée et réglementée par la Financial Conduct Authority au Royaume-Uni.

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