Médicaments : l’innovation peut surmonter le contrôle des prix aux États-Unis

18 novembre 2022
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Le coût des médicaments sur ordonnance représente une charge récurrente pour de nombreux Américains. Si une nouvelle législation fédérale pourrait bientôt alléger leur fardeau, certains investisseurs s’inquiètent des répercussions sur la rentabilité des entreprises pharmaceutiques.

La nouvelle loi américaine sur la réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act (IRA), est assortie d’une obligation en plusieurs volets contraignant les laboratoires pharmaceutiques à limiter, voire à abaisser les tarifs de leurs médicaments, notamment ceux de l’insuline et des anticoagulants, qui comptent parmi les traitements les plus prescrits aux États-Unis. Naturellement, les investisseurs craignent qu’avec un tel mécanisme de contrôle des prix, les laboratoires soient moins enclins à mettre au point de nouveaux traitements vitaux en s’engageant dans un processus de développement à la fois long et coûteux.

Nous estimons toutefois que le développement des médicaments sur ordonnance pourrait non pas ralentir mais s’accélérer grâce aux nouvelles technologies et aux économies de coûts réalisées au sein des portefeuilles de produits en préparation des laboratoires pharmaceutiques.

La baisse des prix des médicaments peut changer la donne

Rendre plus abordables les médicaments essentiels, dont le coût peut être prohibitif pour de nombreux Américains, va apporter une véritable bouffée d’air sur le plan financier. Environ deux tiers des faillites personnelles aux États-Unis sont liées à une flambée des dépenses de santé, et des millions d’Américains incapables de payer les médicaments qui leur sont prescrits mettent leur santé en péril en se rationnant ou en renonçant tout simplement à se les procurer.

Pourtant, les médicaments offrent toujours un meilleur rapport coût/efficacité que les services médicaux ou hospitaliers, si l’on considère leurs prix en pourcentage de l’ensemble des dépenses de santé aux États-Unis. L’industrie pharmaceutique continue de créer de la valeur relative, mais peut toujours s’améliorer, et cette nouvelle législation pourrait selon nous l’y aider.

Il faut dire que le principal bénéficiaire de cette loi ne sera autre que Medicare, le premier acheteur unique de médicaments sur ordonnance. Ce texte donne à Medicare le pouvoir de négocier les prix et d’obtenir des remises sur les traitements les plus onéreux, avec à la clé des milliards de dollars d’économies potentielles. Les dépenses relatives aux médicaments sur ordonnance couverts par la partie D du programme Medicare s’élèvent, à elles seules, à quelque 111 milliards de dollars par an, selon le Congressional Budget Office (CBO).

Outre le pouvoir de négociation conféré à Medicare, la nouvelle loi plafonnera à terme à 2 000 dollars par an le reste à charge des affiliés à ce programme pour les médicaments sur ordonnance et à 35 dollars par mois les frais liés à l’insuline (cf. tableau récapitulatif). Elle prévoit également d’étendre les subventions sur les médicaments pour les bénéficiaires de l’Affordable Care Act (« Obamacare »), dont le nombre a explosé depuis la crise économique de la COVID-19.

From price caps and rebates to Medicare subsidies, mandates under the new law will roll out over the next seven years.

L’impact sur les bénéfices et la R&D pourrait être minime

Alors que les régulateurs peaufinent les derniers détails, certains craignent que le contrôle des prix ne freine la recherche-développement (R&D), considérée comme le véritable moteur de l’industrie, et ne décourage en définitive d’innover, ce qui pourrait se traduire par une réduction de l’offre de nouveaux remèdes et traitements.

Il convient cependant de souligner que les remises négociées ne s’appliquent qu’aux traitements les plus onéreux qui sont commercialisés depuis un certain temps : au moins 9 ans pour les pilules et 13 ans pour les produits injectables. Cela signifie que les négociations obligatoires sur les prix ne concerneront dans un premier temps que 10 médicaments (sur 20 000 actuellement autorisés par l’autorité sanitaire américaine, la FDA) lorsque cette disposition entrera en vigueur en 2026. Cette loi devrait également avoir une incidence limitée sur le nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché. Sur les 50 nouveaux produits lancés tous les ans, le CBO estime qu’un seul sera directement affecté.

En parallèle, le secteur pharmaceutique va poursuivre sa transformation, en se concentrant notamment sur les outils, les délais, ainsi que les technologies qui lui sont utiles. De tels changements profiteront sans conteste aux sociétés qui savent saisir la balle au bond. Du côté de la R&D, la dynamique devrait quant à elle rester inchangée selon nous. À travers le secteur pharmaceutique, l’innovation connaît un véritable essor dans des domaines tels que le séquençage de l’ADN, l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, qui présentent d’importantes applications pour la découverte et le développement des médicaments.

Le séquençage de l’ADN a particulièrement stimulé la recherche pharmaceutique et son coût d’utilisation est en baisse constante : sur les seules vingt dernières années, le prix pratiqué pour la lecture d’un génome humain est passé de plusieurs millions à quelques centaines de dollars. Les avancées les plus médiatisées concernent sans doute les récents vaccins contre la COVID-19, dont certains reposent sur l’utilisation de la technologie innovante de l’ARN messager, qui est actuellement en train d’être exploitée pour traiter le cancer, l’arthrite et d’autres pathologies.

Un modèle économique intelligent reste la clé du succès

De sa conception à sa mise sur le marché, le lancement d’un nouveau médicament peut prendre jusqu’à 12 ans, et les petites entreprises contribuent de manière significative et croissante au portefeuille total de produits en développement dans la filière (cf. graphique). Même si les grands comme les petits laboratoires resteront des acteurs majeurs du développement des médicaments, les promesses d’avancées scientifiques encouragent la création de nouvelles entreprises et attirent les capitaux destinés à financer l’élaboration de nouvelles molécules, comme en témoigne la croissance des portefeuilles de produits candidats des petites sociétés de biotechnologies.

About 92% of all new drugs are produced by companies outside the top 25 based on market cap, a 10% jump in a decade.



Voilà pourquoi nous considérons que le secteur a seulement commencé à retranscrire ses dernières découvertes prometteuses en traitements concrets. Résultat, la recherche et l’innovation ne vont pas s’étioler mais croître, et les entreprises qui fournissent les outils nécessaires resteront des opportunités d’investissement intéressantes.

Parmi elles, on peut citer les sociétés qui assistent la recherche biomédicale en proposant, par exemple, des installations spécialisées, des services d’essais cliniques et des équipements et produits chimiques destinés aux tests. Les entreprises innovantes en matière d’administration des traitements, telles que les fabricants de timbres transdermiques, devraient également tirer leur épingle du jeu. En outre, lorsque l’auto-administration des médicaments est facilitée, les taux d’observance globaux s’améliorent considérablement, ce qui peut dynamiser tout un secteur. Nous nous intéressons également à des champs de l’industrie pharmaceutique moins tributaires des changements de politiques, en particulier la recherche en sciences de la vie aux niveaux universitaire et industriel – des domaines qui ne seront probablement pas affectés par le plafonnement des prix des médicaments.

Plus important, la nouvelle loi ne change rien au fait que la croissance des investissements à long terme dépend largement du modèle économique d’une entreprise et non pas de la science dont elle relève ou du climat politique dans lequel elle évolue. Maintenant que de nouveaux garde-fous ont été mis en place pour contrôler les prix, il faudra étudier de plus près les bénéfices nets en ayant à l’œil les approches innovantes alliant maîtrise des coûts et activités majeures de R&D. Il devrait être possible de conjuguer les deux et de faire profiter aux clients de prix plus avantageux. Si l’on prend l’exemple du secteur technologique, force est de constater qu’il innove de manière exponentielle depuis des années. Or, les coûts facturés à la clientèle ont nettement diminué.

Comme pour n’importe quel secteur, lorsqu’il s’agit d’investir dans la santé, et en particulier dans le secteur pharmaceutique, tout repose sur la recherche et l’analyse. En l’occurrence, cela implique de mettre l’accent sur les entreprises de qualité raisonnablement valorisées présentant une rentabilité élevée ou croissante du capital et de solides possibilités de réinvestissement.

L’Inflation Reduction Act ne fera pas sentir pleinement ses effets avant des années, mais il n’en reste pas moins qu’à ce stade, des millions d’Américains devraient bénéficier d’un accès plus abordable à des médicaments essentiels et les budgets fédéraux d’un répit. Pour nous, cette nouvelle loi n’est pas entièrement préjudiciable aux entreprises pharmaceutiques non plus. Les sociétés qui se concentrent sur l’optimisation des bénéfices en adoptant des approches innovantes en matière de R&D devraient prospérer lorsque cette loi sera en vigueur, et les investisseurs à même de les détecter sont bien partis pour tirer parti de moteurs durables de croissance à long terme.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB. Les opinions peuvent évoluer au fil du temps.