Douleurs de croissance : l’investissement responsable à l’âge de l’adolescence

09 décembre 2022
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L'investissement environnemental, social et de gouvernance (ESG) a traversé une année difficile, avec une surveillance réglementaire accrue et des performances en dents de scie qui ont alimenté un débat houleux. Si le bouillonnement qui accompagne des changements rapides peut s’avérer préoccupant, il reflète selon nous l’arrivée à maturité de l'investissement responsable.

Par le passé, nous avons déjà observé cette phase naturelle lors de précédents changements de paradigme dans les systèmes, les processus ou les cultures. Au sein de notre propre secteur, nous avons connu une période tout aussi agitée avec l'essor rapide des ETF, qui constituent désormais un marché mature.

Or, l’expérience a montré qu’il était plus fructueux d’accueillir positivement les nouvelles idées de manière précoce, plutôt que de les ignorer. Dans cette optique, les récents défis offrent aux parties prenantes l’opportunité de définir collectivement le nouveau cadre de l'investissement ESG : en élaborant et en respectant les réglementations, en adoptant une taxonomie et une terminologie communes, et en créant divers flux de revenus axés sur les facteurs ESG qui améliorent le potentiel de rendement à long terme.

Les régulateurs s'attaquent à l'écoblanchiment

Les interrogations entourant l'investissement ESG ne peuvent être ignorées. Dans le cadre de l’enthousiasme suscité par l'investissement responsable ces dernières années, les gestionnaires d'investissement ont été incités à créer des fonds ESG ou à transformer les portefeuilles existants pour intégrer les enjeux ESG. Les émetteurs se sont également mobilisés pour promouvoir leurs attributs ESG. Bien sûr, de nombreux gestionnaires et émetteurs étaient sincères dans leur démarche. Mais d’autres ont pu aisément abuser du terme « intégration ESG », somme toute assez vague. Cela a parfois conduit à surestimer les capacités et les références en matière d’investissement responsable.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Depuis 2021, nous avons assisté à une multiplication des réglementations destinées à lutter contre l'écoblanchiment et à aider les consommateurs à s'orienter dans un paysage de produits d'investissement de plus en plus complexe. Pour les gestionnaires, il peut s'avérer difficile de respecter les exigences en matière de divulgation et de rapport imposées au niveau national ou régional. Ces réglementations ont toutefois un objectif commun : les gestionnaires d'actifs doivent respecter leurs engagements et se montrer totalement transparents. Autrement dit, ils doivent énoncer clairement leurs objectifs ESG, développer et publier des cadres d'investissement rigoureux et fiables à l’appui de ces objectifs, et informer les clients de manière exhaustive des progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs.

Les parties prenantes doivent parler le même langage

La vague de réglementation et la sensibilisation accrue des investisseurs exigent des définitions claires et des informations transparentes. Les détenteurs et gestionnaires d'actifs doivent collaborer avec les régulateurs et les décideurs politiques pour aider à lever toute ambiguïté ou confusion dans la définition de l'intégration ESG et des autres pratiques d'investissement responsable.

En premier lieu, il convient de faire la distinction entre les stratégies intégrées ESG et les stratégies axées sur les facteurs ESG. L'intégration ESG implique l'identification d’enjeux ESG financièrement significatifs, puis l'évaluation de leur impact sur les aspects commerciaux et financiers, notamment les revenus, les marges, les flux de trésorerie, les valorisations et le coût du capital. Les investisseurs doivent ensuite déterminer si les risques et opportunités associés ont été bien pris en compte dans la valorisation de l'émetteur.

Quant aux stratégies axées sur les facteurs ESG, elles vont au-delà de l’intégration ESG : parallèlement à l’optimisation du couple rendement/risque, elles ont des objectifs ou des thèmes ESG spécifiques, comme le choix de cibler des émetteurs dont les pratiques ESG s'améliorent ou d'investir dans des entreprises qui proposent des solutions climatiques. De leur côté, les régulateurs visent à regrouper les différentes approches des stratégies ESG – exclusion, biais en faveur des meilleures entreprises, investissement thématique, investissement durable et investissement d'impact – sous une taxonomie commune.

Il est légitime que les investisseurs privilégiant des stratégies intégrées ESG aient besoin de savoir comment cette intégration est réalisée. Les portefeuilles intégrés ESG doivent dès lors documenter précisément la manière dont les enjeux ESG sont pris en compte à chaque étape du processus d'investissement. Pour les stratégies intégrées ESG, les équipes d'investissement peuvent commencer par identifier et évaluer les risques et opportunités ESG significatifs afin de générer des idées d'investissement. Ensuite, les analystes doivent être équipés d'outils, de données et d’analyses, d’origine interne ou externe, permettant de développer une compréhension globale des risques – et des opportunités – ESG d'un émetteur, d'un secteur ou d'un portefeuille.

Pour y parvenir efficacement, il est nécessaire que les collaborateurs abordent les problématiques ESG qui définiront l'avenir de notre monde sous des angles multiples. Les analystes doivent rencontrer fréquemment les dirigeants d'entreprises publiques ou privées et d’autres organismes afin d’évoquer des enjeux ESG spécifiques. Sur la base des informations recueillies, les équipes d'investissement pourront intégrer les facteurs ESG dans leur processus de prise de décision en matière d'investissement, lorsque cela est justifié, en ajustant les taux d'actualisation des flux de trésorerie, les prévisions de notation de crédit ou d'autres indicateurs pertinents.

Cela étant dit, une intégration ESG digne de ce nom ne s'arrête pas après la prise de décision d'investissement. Les gestionnaires doivent continuer à surveiller les émetteurs et à travailler avec les régulateurs et les responsables politiques pour clarifier la notion d'intégration ESG.

Dépasser les controverses

Cette évaluation plus complète des risques et des rendements potentiels permet au gestionnaire d'affiner son point de vue sur les perspectives financières de tout titre. Fondamentalement, l'intégration des enjeux ESG dans le processus d'investissement vise à améliorer l'évaluation des risques afin de renforcer la performance ajustée du risque.

Par exemple, si un portefeuille envisage d'investir dans une entreprise industrielle dont les usines émettent d’importantes quantités de carbone, quelles seront les conséquences pour l'entreprise et pour le rendement fourni aux investisseurs ? L'équipe d'investissement doit étudier et prendre en compte l'impact sur l'entreprise d'une éventuelle taxe carbone, ou l’impact d'une réglementation anti-pollution sur les futures dépenses d'investissement, ou encore l'impact sur la part de marché de l’entreprise de l’apparition d’un substitut bas carbone développé par un concurrent.

Selon nous, l'intégration ESG est avant tout un type d’investissement mieux informé. Toutefois, si peu d'investisseurs s'opposent aux stratégies intégrées ESG, les stratégies axées sur les facteurs ESG ne font pas l’unanimité. Mais de même que les investisseurs ne sont pas contraints d’investir dans tous les styles, ils peuvent très bien décider de cibler seulement certains segments ESG, voire aucun.

Hausse programmée de la demande de flux de revenus ESG diversifiés

Les investisseurs qui envisagent des stratégies axées sur les facteurs ESG veulent s’assurer qu’ils ne renoncent pas au potentiel de rendement. En effet, le lien historique entre l'investissement ESG et la génération d'alpha s’est avéré irrégulier, sans compter que les données sont relativement récentes.

Ces dernières années, les portefeuilles ciblant des thèmes ESG ont généralement surperformé, d'autant plus qu'ils surpondéraient les grandes capitalisations de croissance. Mais en 2022, alors que les valeurs technologiques se sont effondrées et que les titres liés aux combustibles fossiles ont progressé, de nombreux portefeuilles ESG ont sous-performé.

Cet épisode souligne la nécessité de développer des stratégies ESG complémentaires, qui ne reposent pas sur une source de bêta unique. Comme dans toute allocation d'actifs, les investisseurs doivent associer des positions en actions de différents styles, stratégies alternatives et obligations pour diversifier les flux de revenus ESG. En outre, les investisseurs ne devraient pas se limiter à investir dans les entreprises, car la dette souveraine et certains actifs réels et titrisés possèdent également des attributs ESG.

Prochaines étapes dans la maturation de l'investissement responsable

L'investissement responsable a certes connu une année difficile, mais il n'est pas près de disparaître. Au contraire, les engagements « zéro émission nette » entraînent une montée en puissance des actifs ESG et de l'activisme des actionnaires dans ce domaine, et les investisseurs auront besoin de conseils et de clarté pour faire face à ces « douleurs de croissance ».

Face à l'évolution des réglementations, des préférences des consommateurs et du paysage concurrentiel, les gestionnaires d'actifs doivent débattre de manière constructive des enjeux fondamentaux de l'investissement responsable : réglementation, langage commun, cadres solides, flux de revenus différenciés, etc.

Du changement climatique au travail forcé en passant par la discrimination et la diversité, les facteurs ESG représentent des risques et des opportunités d'investissement significatifs, qui peuvent entraver ou encourager la création de valeur actionnariale à long terme. C'est pourquoi nous pensons que le meilleur antidote aux défis ESG – et la meilleure façon de garantir le succès à long terme de nos clients – est une approche d'investissement réfléchie, fondée sur la matérialité financière.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB. Les opinions peuvent évoluer au fil du temps.