Incidence de la transition énergétique sur les investissements

07 décembre 2022
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Depuis le début de la révolution industrielle, le charbon, le pétrole et le gaz naturel ont été les principales sources d'énergie pour la totalité des usages, du chauffage des habitations au carburant des véhicules en passant par l’alimentation électrique des usines. Mais les sources d'énergie sont promises à une évolution radicale dans les décennies à venir, des siècles de forte dépendance aux hydrocarbures étant remis en cause par la transition vers les énergies propres.

L'Accord de Paris, qui vise à limiter l'augmentation de la température mondiale, a renforcé la dynamique de cette transition. Il en va de même pour les perturbations de l'approvisionnement en gaz naturel dues au conflit en Europe et les préoccupations en matière de sécurité énergétique. La loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA) promulguée en 2022, qui alloue près de 400 milliards USD au développement des énergies propres, donnera également un coup de pouce non négligeable.

Pour autant, la transition ne se fera pas sans heurts : réinventer un système énergétique mondial vieux d'un siècle et demi en seulement 20 à 30 ans est une tâche titanesque. Ainsi, l'énergie éolienne est une ressource naturelle puissante et de nombreux terrains sont susceptibles d’accueillir des parcs éoliens. Mais des permis sont nécessaires, les localités doivent valider les sites d'exploitation et les turbines doivent être construites. De plus, il faut stocker l'énergie lorsque le vent ne souffle pas et la source d'énergie doit être raccordée au réseau électrique, ce qui n’est pas simple.

Le réaménagement de la production et de la distribution d'énergie offre néanmoins des opportunités sans précédent. Afin de réduire les émissions de carbone et d'atténuer le changement climatique, les investissements annuels dans les solutions de décarbonation devraient être multipliés par près de quatre au cours de la prochaine décennie, passant de 1 200 milliards USD en 2020 à 4 300 milliards USD en 2030 selon l'Agence internationale de l'énergie. Les entreprises qui fournissent des solutions de décarbonation pertinentes bénéficieront ainsi d’une vigoureuse croissance séculaire.

Pour les investisseurs, il est essentiel de comprendre comment la transition va façonner le paysage des opportunités : on peut schématiquement classer ces dernières en quatre grands groupes, comme le montre la série « Disruptor » d'AB.

1) Les entreprises d'hydrocarbures disposant d’options d'énergie propre

Étant donné que la transition s'étalera sur plusieurs décennies, les entreprises énergétiques traditionnelles joueront un rôle essentiel. En effet, elles ont la capacité de produire des hydrocarbures dont le monde a encore besoin alors que les capacités d'énergie propre augmentent progressivement, mais aussi de favoriser le développement d'infrastructures d'énergie propre.

Au fur et à mesure que les besoins en combustibles fossiles diminuent, leur activité de base voit sa valeur diminuer, mais continue de générer des flux de trésorerie significatifs. Une part importante de ces liquidités est investie dans les technologies de décarbonation qui permettront la transition. En outre, ces entreprises rendent leurs processus plus propres en investissant dans des technologies de production plus efficaces et dans la réduction des fuites de méthane. Elles fournissent également du gaz naturel, un combustible de transition qui peut remplacer le charbon pour la production d'électricité constante ou à la demande, ce que les énergies renouvelables ne sont pas encore en mesure de faire. Enfin, elles investissent dans des sources d'énergie bas carbone.

Cet effort d'innovation offre aux investisseurs une « option » d'énergie propre. Les « majors » des hydrocarbures figurent parmi les leaders en matière de brevets sur les énergies propres, y compris l'énergie géothermique, un domaine qui est leur pré carré. Elles sont donc bien placées pour accompagner la transition en fournissant divers types d’énergie et pourraient montrer un visage très différent dans quelques décennies. Et elles sont facilement accessibles grâce aux marchés publics des actions et de la dette.

Étant donné que la plupart des exploitants d'hydrocarbures produisent des carburants qui alimentent les moteurs traditionnels sans générer directement de l'électricité, leur rôle dans la transition s'arrête à l’électricité, qui fait intervenir d’autres groupes.

2) Les piliers des énergies renouvelables

Au fil du temps, diverses sources prendront le relais des hydrocarbures, notamment les piliers des énergies renouvelables que sont l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Ces sources d'énergie gagnent rapidement du terrain, ce qui les rend compétitives par rapport aux énergies traditionnelles à base de combustibles fossiles et à d'autres sources d'énergie propre qui sont soit émergentes, soit à un stade plus précoce de leur cycle de vie.

Si les combustibles fossiles restent les sources d'énergie dominantes, les énergies renouvelables connaissent une croissance beaucoup plus rapide. Selon l'Office de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables, la capacité solaire des États-Unis permet aujourd’hui d’alimenter l’équivalent de 18 millions de foyers. Cependant, pour la première fois depuis des années, les installations éoliennes ont été plus nombreuses en 2020 que les installations solaires. Alors que l’heure est au renforcement des capacités, de nombreuses opportunités d'investissement se profilent tout au long de la chaîne de valeur des énergies renouvelables.

Prenons l'exemple de l'énergie solaire. Outre l'origination et le raffinage du silicium pour fabriquer des cellules solaires, il faut construire des panneaux solaires et créer, puis connecter des onduleurs de puissance permettant de convertir le courant électrique continu en courant alternatif. De même, construire et exploiter une éolienne de 90 mètres de haut dont les pales pèsent plusieurs tonnes requiert d’importantes ressources technologiques et de construction. Divers fournisseurs de produits et services essentiels à la mise en place d'infrastructures renouvelables ne sont pas considérés comme appartenant à l'écosystème « renouvelable », mais ils facilitent directement la transition et bénéficieront de son accélération.

En outre, il conviendra d’accroître les capacités de stockage pour l'énergie générée de manière intermittente par le soleil et le vent, et cette énergie doit être connectée efficacement aux réseaux électriques afin d'alimenter les ménages et les entreprises. Ces rôles incombent à un troisième groupe dans la transition énergétique.

3) Les fonctions spécialisées et technologies critiques

Pour chaque dollar dépensé dans la construction de capacités d'énergie solaire et éolienne, un autre dollar est nécessaire pour renforcer la capacité du réseau électrique et transporter et distribuer l'énergie aux clients finaux. Les fonctions spécialisées et la technologie jouent donc un rôle essentiel dans la transition.

Les promoteurs de parcs éoliens, par exemple, peuvent exploiter les installations qu'ils développent, en assurant un fonctionnement et une transmission de l’électricité efficaces. L'énergie éolienne et solaire étant intermittente, les technologies de stockage de l'énergie sont une priorité pour créer un approvisionnement régulier. Le marché des systèmes de stockage d'énergie sur batterie devrait ainsi connaître une croissance rapide tout au long de la transition énergétique. Par chance, le coût des batteries a sensiblement baissé au cours de la dernière décennie, ce qui rend le stockage d'énergie viable pour les services publics et les particuliers.

L'amélioration du réseau électrique américain sera toutefois nécessaire pour intégrer des sources d'énergie de plus en plus diverses. Le réseau intelligent de demain sera essentiellement un « agent de circulation » à l'intersection de l'énergie et de la technologie, qui jonglera avec la capacité disponible tout en utilisant une multitude de données et une communication bidirectionnelle pour équilibrer de manière dynamique l'offre et la demande d'énergie.

Avec la combinaison de l'évolution des « majors » de l'énergie, de la contribution croissante des sources d'énergie renouvelable et des technologies critiques nécessaires pour stocker, transporter, intégrer et fournir de l'énergie au réseau, une dernière étape reste à franchir : la décarbonation de secteurs intrinsèquement polluants tels que l'industrie.

4) Les jokers de la transition énergétique

Pour franchir cette étape, il faudra probablement recourir à des sources d'énergie additionnelles, dont certaines sont encore à l'état embryonnaire, tandis que d’autres – plus anciennes – pourraient être réinventées pour contribuer à la transition.

À titre d’exemple, l’énergie nucléaire existe depuis de nombreuses décennies, mais sa popularité a connu des hauts et des bas. Outre certains enjeux de sécurité, l'énergie nucléaire est devenue de plus en plus chère, du moins aux États-Unis, alors que les autres sources d'énergie devenaient moins onéreuses. L'énergie nucléaire traditionnelle constitue néanmoins une part importante du bouquet énergétique dans plusieurs pays européens, ainsi qu’aux États-Unis et ailleurs. Dans de nombreux cas, les installations qui devaient être fermées progressivement ont été prolongées pour répondre aux besoins d’énergie.

La deuxième vie de l'énergie nucléaire pourrait prendre la forme de petits réacteurs modulaires (SMR), construits en usine et plus facilement assemblés sur site. Les SMR sont plus simples que les centrales nucléaires traditionnelles, ont une plus grande souplesse d'implantation et sont des systèmes passifs, ce qui pourrait également répondre aux préoccupations en matière de sécurité. Certains types de SMR génèrent une chaleur suffisante pour alimenter des industries lourdes telles que l'acier, ce qui dépasse les capacités de l'énergie solaire et éolienne. Il existe de nombreux modèles de SMR, mais il faudra probablement des années avant qu'ils atteignent l'échelle nécessaire pour contribuer au mix énergétique nucléaire et à la transition énergétique. Les progrès de la technologie de fusion pourraient également ouvrir de nouvelles voies pour la contribution du nucléaire au bouquet énergétique mondial.

De son côté, l’hydrogène est une technologie plus récente qui pourrait changer la donne, en jouant le rôle de « couteau suisse » de la décarbonation. Par exemple, l'hydrogène peut être utilisé pour décarboner des sources d'énergie intrinsèquement polluantes et dégageant d’importantes quantités de chaleur. L’hydrogène peut également produire suffisamment d'énergie par volume pour alimenter les transports lourds, y compris les gros camions, les navires et les avions. Cependant, l’hydrogène demeure coûteux et des investissements supplémentaires sont nécessaires pour affiner la technologie de l'électrolyseur et la rendre plus efficace. En outre, le transport de l'hydrogène reste un problème épineux. Mais la baisse des coûts liés aux énergies renouvelables et aux électrolyseurs devrait rendre la production d'hydrogène plus rentable au cours des prochaines années.

Une autre solution de décarbonation est la capture et séquestration du carbone (CSC), qui approche de la viabilité économique et sera essentielle pour réduire les émissions provenant de sources intrinsèquement polluantes comme les processus industriels, le raffinage et la production de produits chimiques. La CSC est une solution intéressante, car le carbone capturé pourrait être utilisé comme intrant dans plusieurs industries et produits, ou converti en d'autres sources de combustibles utilisables.

Aux États-Unis, l’IRA devrait donner un coup de fouet aux technologies énergétiques émergentes, notamment l'hydrogène et le captage du carbone, en leur permettant de progresser sur la courbe des coûts, comme l'ont fait avant eux l'éolien et le solaire. Pour l'hydrogène, l'IRA prolonge les crédits d'impôt jusqu'en 2042, créant ainsi un cadre stable à long terme afin de susciter l'intérêt d'un plus grand nombre d'investisseurs. La monétisation des crédits dès la phase initiale permet aux petites entreprises du secteur de l'hydrogène de financer les fonds propres des projets, avant d'obtenir un emprunt sur les marchés cotés ou non-cotés. Toutes ces activités de financement offrent aux investisseurs des possibilités de faire travailler leur capital.

Vue d’ensemble

En résumé, les opportunités liées à la transition vers les énergies propres sont immenses et très diverses. Elles concernent tous les compartiments des marchés de capitaux, du secteur public au secteur privé et des actions aux obligations. Mais pour les exploiter efficacement, les investisseurs doivent comprendre l'ensemble de la chaîne de valeur – création, stockage et distribution – d'un ensemble de plus en plus diversifié de sources d'énergie. Grâce à une meilleure connaissance d’un paysage énergétique complexe, les investisseurs seront à même d’identifier les opportunités attrayantes qui contribuent à la transition.

La série « Disruptor » d'AB vise à fournir des points de vue originaux sur les enjeux essentiels auxquels les marchés de capitaux sont aujourd’hui confrontés.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB. Les opinions peuvent évoluer au fil du temps.