L'augmentation des risques s'explique en partie par la surveillance accrue menée par les gouvernements et les organisations intergouvernementales. Les États-Unis ont déjà mis en œuvre une législation sur les minerais de conflit, et l'Union européenne (UE) a mis en œuvre le 5 janvier dernier sa directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises. La nouvelle directive obligera les grandes entreprises de l'UE et des pays tiers qui y ont une présence importante à publier des informations sur les facteurs sociaux, notamment les conditions de travail, l'égalité, la non-discrimination, la diversité et l'inclusion, les droits de l'homme et les effets de leurs activités spécifiques sur les populations et la santé humaine.
En février 2022, la Commission européenne a présenté une proposition sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Lorsqu'elle aura valeur légale, elle couvrira les obligations des entreprises en matière de droits de l'homme et d'environnement. En septembre 2022, la Commission a également soumis une proposition de règlement relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l'Union. La proposition ne vise pas uniquement l'industrie minière, mais englobe également les entreprises qui ont recours au travail forcé. Si elle acquiert force de loi, elle interdira l'exportation et l'importation des produits de telles entreprises de et au sein de l'UE.
Les objectifs de développement durable des Nations unies (ONU), quant à eux, visent à éradiquer l'esclavage moderne d'ici 2030 et, en décembre 2022, les Principes pour l'investissement responsable, également sous l'égide de l'ONU, ont lancé une initiative visant à engager les entreprises sur les questions sociales et les droits de l'homme. Appuyée par plus de 220 gestionnaires d'actifs représentant quelque 30 000 milliards de dollars sous gestion, il s'agit du plus grand effort jamais mené dans ce domaine.
Les secteurs de l'exploitation minière, des métaux et des énergies renouvelables en sont les premières cibles. Les autres sources de risques croissants sont de nature géopolitique. La volonté d'utiliser davantage les sources d'énergie renouvelables, conjuguée à d'autres évolutions technologiques - y compris les progrès en matière d'équipement militaire - stimulent la demande de certains minéraux. La concurrence pourrait encore s'intensifier dans la mesure où les entreprises, mais aussi les gouvernements, se disputent des ressources relativement rares.
À mesure que ces pressions augmentent, l'incertitude s'accroît pour les personnes travaillant dans l'industrie minière, en particulier celles qui se trouvent dans les zones les plus reculées et les moins transparentes des chaînes d'approvisionnement. Et les enjeux sont d'autant plus grands pour les investisseurs, qui cherchent à identifier et à gérer les risques pour les populations au sein de leurs portefeuilles d'investissement. Comment rendre ces efforts plus efficaces ?
Dans le secteur minier, la localisation géographique constitue un facteur de risque majeur
De notre point de vue, l'essentiel est de disposer d'un cadre solide pour évaluer le risque d'esclavage moderne dans toutes les entreprises de l'univers d'investissement concerné, et pas seulement celles qui sont présentes dans les portefeuilles des investisseurs. L'analyse fondamentale combinée aux recherches de tiers spécialisés doit permettre de classer les entreprises et les secteurs en fonction de leur exposition au risque d'esclavage moderne.
Notre propre cadre repose sur quatre facteurs de risque clés : les populations vulnérables, les zones géographiques à haut risque, les produits et services à haut risque et les modèles commerciaux à haut risque. Toutes ces facettes s'appliquent aux opérations minières et aux chaînes d'approvisionnement.
Pourquoi le risque est-il si élevé dans le secteur minier ? En raison de son importance sur le plan économique, notamment pour les pays émergents. Sur les 40 nations qui dépendent des minéraux non combustibles pour plus de 25 % de leurs exportations, 75 % sont des économies à revenu faible ou intermédiaire.
Du fait de son profond ancrage dans les pays émergents, l'industrie minière représente une source de risques majeure pour les populations dans bon nombre de ces régions. Relativement dangereuse et souvent caractérisée par de mauvaises pratiques en matière de sécurité, l'exploitation minière artisanale et à petite échelle (désignée par l'acronyme ASM), par exemple, est surtout présente dans ces pays. D'après l'Organisation internationale du travail, près de 13 millions de personnes travaillent dans l'ASM, et on estime que 100 millions en dépendent pour leur subsistance.
Dans de nombreuses régions minières, les populations sont exposées à des risques tels que l'exploitation, dans des zones reculées, le déplacement - parfois forcé - de populations autochtones pour avoir accès aux minéraux, et l'association avec le crime organisé ou les conflits armés. Ces dangers risquent de s'intensifier, car une grande partie de la croissance future de la demande de minéraux se fera dans des zones géographiques à haut risque.
L'engagement permet de comprendre... et de prendre position
Bien que le cadre en matière de risque d'esclavage moderne au sens large soit un outil utile, il est nécessaire de comprendre l'exposition de chaque entreprise pour pouvoir véritablement prendre position. Si les facteurs de risque sont élevés dans l'ensemble du secteur, ils varient d'une entreprise à l'autre, au même titre que la sensibilisation aux risques et les efforts déployés pour les gérer.
La compréhension des risques individuels liés à l'esclavage moderne requiert non seulement de solides compétences en matière de recherche et une collaboration entre les analystes fondamentaux et les experts internes en matière d'environnement, de société et de gouvernance (ESG), mais aussi un sens aigu des meilleures pratiques de gestion des risques.
Une volonté de s'engager directement auprès des entreprises pour identifier et traiter les problèmes est également essentielle. Dans une optique tant de compréhension que d'action, l'engagement devrait permettre de réduire les risques non seulement pour les travailleurs dans les mines et les chaînes d'approvisionnement, mais aussi pour les entreprises et les investisseurs. Il s'agit là d'une occasion en or de sensibiliser les entreprises aux risques d'esclavage moderne et de les aider à développer des moyens efficaces pour les gérer.
Notre propre engagement sur ce sujet montre que, bien que la sensibilisation aux risques parmi les sociétés minières soit raisonnablement élevée ou en augmentation, des mesures supplémentaires de gestion de ces risques sont encore possibles. À titre d'exemple, les entreprises avec lesquelles nous nous sommes engagés ont généralement mis en place des politiques solides en matière de droits de l'homme et d'esclavage moderne, mais la qualité de l'exécution varie considérablement. L'on retiendra toutefois un élément important : la formation dans ce domaine se révèle assez avancée au niveau du personnel chargé des opérations et des achats dans les entreprises, mais n'en est qu'à ses débuts chez leurs fournisseurs(Illustration).