Le temps, c'est de l'argent

rétablir la confiance des investisseurs dans les flux de trésorerie à long terme

28 août 2021
5 min read

Alors que le vent tourne parmi les styles d’actions, les investisseurs continuent de débattre des avantages respectifs des titres de croissance par rapport aux valeurs décotées. Nous restons toutefois convaincus que la qualité est primordiale, en particulier dans un environnement de taux d’intérêt bas qui a changé la logique des valorisations des entreprises.

Il y a 40 ans, la Réserve fédérale, alors dirigée par Paul Volcker, a poussé les taux d’intérêt à des niveaux record pour lutter contre une inflation galopante qui étouffait l’économie. Depuis, ils n’ont cessé de baisser. Aujourd’hui, les taux d’intérêt se sont stabilisés à des niveaux historiquement bas, essentiellement sous l’effet des politiques menées par les banques centrales. Les investisseurs n’ont pratiquement pas influencé cette tendance, qui a en revanche eu un impact majeur sur les prix des actifs financiers.

Évaluer la valeur actuelle à l’aide de la génération de liquidités future

Lorsque les investisseurs recourent à l’analyse des flux de trésorerie actualisés (DCF) pour évaluer les flux de trésorerie d’une entreprise, la valeur actuelle nette calculée pour ses actifs est d’autant plus élevée que les taux sont faibles.

Comme le dit l’adage « le temps, c’est de l’argent ». Plus les investisseurs se projettent dans l’avenir, plus il est difficile de se fier au montant ou au calendrier des flux de trésorerie d’un actif. Et encore faut-il qu’il y en ait : le bitcoin, par exemple, ne génère aucun flux de trésorerie.

La composante « actualisation » de l’analyse DCF est par conséquent un taux d’actualisation qui reflète le fait que l’argent reçu dans le futur vaut moins que celui détenu aujourd’hui. Les taux d’actualisation fluctuent par ailleurs en fonction des actifs. Ils tentent en effet de tenir compte non seulement du temps mais aussi des différents degrés de risque associés à leurs flux de trésorerie très divergents.

Les investisseurs prennent davantage de risques pour un rendement moindre

La faiblesse historique des taux « sans risque » - principalement représentés par les rendements des bons du Trésor américain - est encore aggravée par la tolérance au risque accrue des investisseurs à l’heure actuelle, ce qui explique sans doute pourquoi les valorisations sont si élevées. Mais cela signifie également que les spreads de risque sont inférieurs à la normale, alors que les investisseurs, en quête de revenus, sont plus disposés que jamais à prendre des risques. Les spreads moyens entre les obligations à haut rendement et le bon du Trésor américain à 10 ans (taux sans risque) se sont en effet contractés pour atteindre 2,9 %, soit presque un plus bas en 20 ans (Graphique).



Cela étant, les investisseurs sont beaucoup moins bien rémunérés que par le passé pour s’exposer à un niveau de risque donné, et ce quel que soit le taux sans risque sous-jacent. Alors que nombre d’entre eux se basaient sur un coût du capital moyen pondéré de 10 % ou plus pour déterminer la valeur des actifs de long terme, ces derniers semblent aujourd’hui être actualisés, en grande partie, en utilisant des taux de seulement 5 %, voire moins.

Dans une certaine mesure, la tolérance au risque apparemment plus élevée pourrait simplement n’être qu’une illusion. De nombreux investisseurs, et notamment ceux adoptant une stratégie passive, ne s’intéressent pas aux questions d’évaluation de la valeur d’une entreprise. Les participants aux régimes de retraite américains 401(k), par exemple, représentent une part importante des investisseurs sur le marché des actions, mais n’ont probablement qu’un intérêt limité pour l’évaluation (ou, autrement dit, le rendement) des actifs qu’ils acquièrent à chaque cotisation ou rééquilibrage de compte.

Le DCF met en lumière des enjeux élevés dans un environnement à faible taux d’intérêt

Les flux de trésorerie futurs n’ont jamais eu autant de valeur qu’aujourd’hui. Toutefois, les entreprises, ou les actifs, n’en ont pas tou(te)s profité de la même manière. En raison de la puissance de l’effet de capitalisation, les sociétés qui génèrent l’essentiel de leurs bénéfices ou de leurs flux de trésorerie dans le futur sont avantagées par rapport à leurs homologues qui les réalisent plus tôt. Les flux de trésorerie des entreprises à forte croissance, par exemple, sont généralement générés beaucoup plus tard que ceux des sociétés à faible croissance. Par conséquent, une hausse du taux d’actualisation utilisé pour calculer la valeur actuelle des flux de trésorerie fait baisser de manière disproportionnée la juste valeur des actions à forte croissance par rapport aux valeurs à faible croissance, un écart qui se creuse à mesure que les taux augmentent (Graphique à gauche).



Cette divergence est également observée au niveau de secteurs ou sous-secteurs entiers. La baisse des taux d’actualisation a par exemple fait grimper le ratio prix/ventes, c’est-à-dire la capitalisation boursière de l’entreprise divisée par ses ventes, des éditeurs de logiciels. En revanche, il n’a que très peu évolué, ou été « réévalué », dans le secteur des composants automobiles (Graphique à droite). Ainsi, le taux d’actualisation relatif appliqué aux logiciels a davantage baissé que celui utilisé pour les composants automobiles, mais cet avantage devrait selon nous commencer à s’inverser si les taux augmentent.

Cela vaut en particulier pour les jeunes sociétés de croissance, qui affichent un flux de trésorerie disponible moindre (voire inexistant) pour les actionnaires à court ou moyen terme. Elles présentent des caractéristiques similaires aux obligations d’échéance plus longue (10 ans ou plus), dès lors que leurs flux de trésorerie pondérés sont perçus plus tard que les entreprises plus rentables aujourd’hui. Ces sociétés, et les actifs de longue durée en général, ont profité de nombreuses années de baisse des taux, contrairement à leurs homologues plus matures. Il est important de noter que les avantages relatifs ont augmenté avec la chute des taux. Mathématiquement, lorsque ceux-ci baissent de 5 à 4 %, les bénéfices pour les actifs de longue durée sont plus importants que pour un recul de 10 à 9 %.

Les taux donnent le ton, mais la sélection doit reposer sur la qualité

Nous vivons et investissons dans un environnement qui semble plus perturbé et concurrentiel que jamais, alors que les pressions inflationnistes s’intensifient également. Cette évolution est incontestable dans certains secteurs comme le marché du logement américain et les biens durables. Si l’on tient également compte des taux d’intérêt sans risque à long terme, aujourd’hui proches de 1 %, et des spreads de risque serrés, il est peu probable que la diminution des taux d’actualisation se poursuive encore longtemps. En ce qui concerne les actions à forte croissance dont la rentabilité actuelle est limitée, l’atténuation des avantages liés aux taux peut être considérée comme un obstacle relatif.

Si les taux n’augmentent que modérément, les actions de qualité et les valeurs décotées, moins dépendantes des flux de trésorerie générés dans un avenir plus lointain, pourront tirer leur épingle du jeu sur une base relative. Paradoxalement, la hausse des taux d’intérêt est susceptible de n’avoir qu’un impact restreint sur une entreprise qui anticipe déjà une durée de vie limitée, comme un producteur de pétrole et de gaz en amont.

De l’importance d’une rentabilité durable

Nul ne peut prédire l’évolution des taux d’intérêt. Mais à mesure que les économies passent de la reprise à l’expansion, il est particulièrement important de rechercher des modèles économiques cohérents et très rentables. Il est avéré que les entreprises affichant une rentabilité élevée, telle que mesurée par le rendement des actifs (ROA), ont tendance à rester sur cette lancée pendant plusieurs années, tandis que les moins rentables sont plus susceptibles de trébucher.

Nous sommes convaincus que les indicateurs basés sur la rentabilité, comme le ROA ou le rendement du capital investi, seront particulièrement révélateurs de la qualité d’un modèle économique en cas de hausse des taux d’intérêt (faisant grimper le coût du capital et les taux d’actualisation utilisés pour valoriser les flux de trésorerie futurs).

Alors que le redressement économique se poursuit, donnant un coup de pouce aux valorisations, les investisseurs devront se concentrer sur les entreprises dotées de modèles d’affaires résilients, capables de générer des rendements solides dans le monde post-Covid. En mettant la qualité au cœur de leur analyse fondamentale, ils seront en mesure de construire des portefeuilles susceptibles d’offrir des performances plus régulières à travers des cycles économiques changeants.

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