Atteindre (à temps) la neutralité carbone

23 mars 2021
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Partout dans le monde, les entreprises sont engagées dans une course pour réduire leurs émissions de carbone. Mais que faut-il vraiment pour réaliser des objectifs écologiques ambitieux ? L’exemple de FedEx, qui s’est engagé récemment à réduire à zéro les émissions nettes de carbone de ses activités avant 2040, illustre les problématiques que les investisseurs doivent prendre en compte.

Les mesures visant à atteindre les objectifs de réduction de carbone sont indispensables pour la sauvegarde du climat. Pour les entreprises, la présence d’un plan d’action climatique crédible et durable est également le signe d’une bonne gestion et adresse un signal positif, aux actionnaires comme aux clients.

FedEx engagé dans une promesse audacieuse

FedEx est la plus grande société de transport express au monde. Peu d’entreprises affichent une plus grande dépendance envers les énergies fossiles pour faire tourner leur activité. L’annonce d’un objectif de neutralité carbone opérationnelle place donc la barre haut pour tous les gros émetteurs de carbone dans l’ensemble des secteurs.

Bien sûr, un engagement sur 20 ans couvre bien plus que le mandat des dirigeants actuels, d’où l’importance d’un plan scrupuleusement réfléchi. Les investisseurs doivent bien comprendre les obstacles pratiques que rencontrent les entreprises sur leur chemin vers la neutralité carbone. Des travaux de recherche approfondis et un dialogue avec les dirigeants sont absolument essentiels pour discerner les chefs de file et les moins bons élèves, notamment parce que les niveaux de transparence divergent d’une entreprise à l’autre.

Comprendre le chemin vers la neutralité carbone

Les entreprises ont le choix d’employer différentes stratégies pour atténuer, réduire ou neutraliser leurs émissions de carbone. D’abord, une approche légitime en amont de la transformation des activités peut consister à acheter des crédits carbone. En effet, des changements à grande échelle pour mettre à niveau les actifs d’une entreprise peuvent représenter d’importants coûts de carbone initiaux et nuire ainsi aux bénéfices.

À long terme, cependant, seuls de véritables changements opérationnels peuvent avoir un impact positif sur le climat. Les entreprises qui cherchent plus à compenser qu’à réduire leur impact risquent en définitive de créer des problèmes, et non des solutions. Surtout, l’achat de crédits carbone pourrait justement attiser la concurrence autour des sols forestiers. La différence est grande entre les entreprises qui achètent leur trajet vers la neutralité carbone avec des crédits carbone, et celles qui prennent des engagements réels pour décarboniser leur empreinte.

FedEx commence par investir 2 milliards USD dans trois grands axes : voitures électriques, énergies renouvelables et séquestration du carbone. Il s’agit là d’une première étape importante dans la poursuite de son objectif à long terme. De plus, elle couvre l’ensemble de ses opérations, car elle concerne autant les véhicules que le transport aérien et les locaux.

Identifier les usages du carbone

Dans une activité logistique comme celle de FedEx, le rôle des énergies fossiles est facile à visualiser. Mais ce n’est pas toujours aussi évident dans le cas d’autres émetteurs indirects de gaz à effet de serre (GES). C’est pourquoi le Protocole GES aide à identifier et à prendre en compte les usages du carbone dans l’ensemble des domaines économiques (on parle de Scope 1, 2 et 3). De plus, le World Resources Institute a mis au point une méthodologie d’évaluation des émissions économisées (on parle alors de Scope 4), soutenue par le Climate Disclosure Standards Board (voir illustration ci-dessous). Les organisations visées par le Scope 4 sont celles qui produisent des technologies pour prévenir et économiser des émissions. Elles peuvent également aider d’autres entreprises à réduire les GES émis par leurs activités.



Par exemple, les entreprises technologiques ont plus de chance d’émettre peu d’émissions de Scope 1 (directes) ; en revanche, elles sont susceptibles d’utiliser d’importantes quantités d’électricité à base d’énergies fossiles, et donc d’afficher un lourd bilan d’émissions de Scope 2 (indirectes). Les entreprises de services professionnels, en principe, auront peu d’émissions de GES de Scope 1 et 2, mais leurs recettes dépendent largement des voyages d’affaires de leurs employés, dont les émissions sont classées dans le Scope 3.

Les volumes seront généralement plus élevés pour les émetteurs de GES de Scope 1, mais ce sont également eux qui auront les plus grandes chances de réduire leurs émissions à l’avenir. Il sera potentiellement plus difficile aux entreprises concernées par le Scope 3 de réduire leurs émissions sans perturber leur activité. Dans de nombreuses activités et industries, la plus grosse source d’émissions de carbone réside dans les chaînes d’approvisionnement, qui impliquent souvent le transport au long cours des marchandises. Les fournisseurs de services logistiques sont donc une source majeure d’émissions de Scope 3. FedEx l’a reconnu en s’engageant à rechercher avec ses clients des solutions durables du début à la fin de la chaîne d’approvisionnement, à l’aide d’une offre de transport maritime carbo-neutre et d’emballages écologiques.

Les objectifs zéro émission nette sont-ils bons pour les affaires ?

Limiter le réchauffement de la planète est une priorité essentielle. Mais y a-t-il un impact positif sur le résultat financier si l’on s’engage à la neutralité carbone ?

À notre avis, une bonne gestion des émissions adresse un double signal. D’abord, elle montre que les dirigeants sont sensibles à l’efficacité des opérations, ce qui peut donc donner lieu à des réductions des coûts d’exploitation. Dans le cas de FedEx, le tout dernier plan s’appuie sur des réussites précédentes en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique. Depuis 2012, les programmes FedEx Fuel Sense et Aircraft Modernization ont permis d’économiser au total 1,43 milliard de gallons de kérosène : un impact positif à la fois pour l’environnement et pour les résultats de FedEx. De plus, la rentabilité de l’entreprise est accrue grâce à l’optimisation des trajets, qui permet aussi de réduire les émissions de carbone.

L’engagement envers la neutralité carbone peut également favoriser une hausse des revenus marginaux, en offrant un atout concurrentiel : en effet, les clients sensibles à la cause climatique pourraient privilégier FedEx dans leurs processus d’achat s’ils ont connaissance de l’offre de transport maritime carbo-neutre et des solutions d’emballage écologiques.

Enfin, une stratégie solide articulée autour d’un objectif zéro émission reflète une gouvernance saine et une réflexion tournée vers l’avenir.

neutralité carbone, un chemin appelé à évoluer

Il peut sembler prématuré de se fixer des objectifs pour après 2030. Mais en réalité, c’est bien dès aujourd’hui que les entreprises doivent agir. D’une part, la durée de vie utile des actifs contribuant aux émissions de carbone s’étend souvent sur de très longues périodes.

Prenons l’exemple des véhicules de transport de FedEx. L’entreprise s’est fixé des objectifs d’achats à court terme, en sachant que plusieurs années seront nécessaires pour convertir la totalité de sa flotte. FedEx ambitionne donc d’acheter 50 % de véhicules électriques d’ici 2025 et 100 % d’ici 2030, dans l’optique de disposer d’une flotte entièrement électrique en 2040.

De plus, il est important que les entreprises développent la « mémoire musculaire » nécessaire pour opérer dans un monde théoriquement carbo-neutre. La neutralité carbone exige l’emploi de technologies qui n’existent pas encore. En se fixant des objectifs climatiques ambitieux, les entreprises acceptent de facto d’investir dans ces nouvelles technologies.

FedEx, par exemple, a engagé 100 millions USD d’investissements au bénéfice du Yale Center for Natural Carbon Capture, afin de financer des recherches interdisciplinaires appliquées sur les solutions de séquestration du carbone. Les chercheurs de ce centre mettront au point des méthodes inspirées des systèmes naturels de stockage du carbone, notamment les écosystèmes biologiques et le cycle géologique du carbone. Leur mission consiste à améliorer autant que possible la vitesse d’absorption du carbone, la quantité stockable et la durée de ce stockage. L’objectif premier est d’aider à compenser l’équivalent des émissions de GES du trafic aérien actuel, mais à terme, l’idéal sera d’étendre le périmètre des recherches pour un maximum d’impact.

Nous considérons que la collaboration entre un vaste éventail de parties prenantes, y compris des scientifiques et des universitaires, représente une étape vitale pour accélérer le développement de stratégies climatiques.

Naturellement, les progrès technologiques sont impossibles à prévoir, et même si ces derniers doivent avoir au final d’importants bienfaits, d’ici là, il est essentiel que la société et les entreprises prennent toutes les mesures de prudence pour contrôler leurs émissions de carbone. Dans chaque secteur, les investisseurs doivent bien comprendre les avantages spécifiques d’un plan de décarbonisation pour les entreprises, de même que les risques pouvant résulter de leur inertie. Avec son programme ambitieux, FedEx fournit aux actionnaires des clés d’analyse importantes pour identifier les entreprises dotées de projets solides afin d’améliorer leur activité tout en luttant contre le changement climatique.

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