Obligations souveraines : notre prescription ESG aux pays émergents

22 mars 2021
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Alors que plus de 60 % des émissions mondiales de carbone proviennent de pays émergents, la Banque mondiale estime que le changement climatique pourrait réduire à la pauvreté entre 68 millions et 132 millions de personnes d’ici 2030. Le besoin d’avancées en matière d’environnement, de société et de gouvernance (ESG) est criant. En réalité, les objectifs de durabilité fixés par les Nations unies exigent des pays émergents des progrès substantiels en vue de résoudre les problèmes ESG et économiques avant 2030.

Mais il manque 2 500 milliards USD de financements annuels aux banques de développement multilatéral axées sur ces objectifs. Alors comment ces pays volontaires, mais souvent à court d’argent, peuvent-ils financer la résolution de ces problèmes ? Grâce à un dialogue entre émetteurs et investisseurs à propos des enjeux ESG, qui aboutit à l’émission de dette visant à déployer des projets respectueux de l’ESG, toutes les parties ont à y gagner.

De plus en plus de pays émergents financent ces progrès en émettant des obligations liées à l’ESG (vertes, sociales ou de durabilité), dont les produits sont utilisés dans des projets environnementaux ou sociaux. Depuis un an, les émissions de ces types d’obligations par des pays émergents ont doublé.

Avantages (et coûts) de l’ESG dans les pays émergents

L’amélioration des questions liées à l’ESG comporte d’importants enjeux. Les investisseurs, tout comme les agences de notation, incluent des critères ESG dans leurs évaluations, qu’ils affinent encore à mesure qu’apparaissent davantage de données et d’outils. Les pays émergents capables de rehausser leur profil ESG peuvent ainsi obtenir de meilleures notes de solvabilité, réduire leurs coûts de financement et diversifier leurs bases de créanciers.

Parallèlement, les pays qui font le choix de ne pas essayer de résoudre leurs problèmes ESG doivent en payer l’addition. Ainsi, des taxes carbone pourraient être imposées aux pays peu soucieux de leur empreinte environnementale. Par ailleurs, certaines obligations liées à l’ESG comportent des mécanismes avec des taux de financement préférentiels, accordés uniquement aux pays qui améliorent leur profil ESG. Et comme les mandats dirigent plus de capital vers les obligations liées à l’ESG, les pays mal notés dans ce domaine courent le risque d’être exclus du périmètre, de perdre ainsi des flux d’investissement et d’accroître leurs coûts de financement.

La forte hausse des émissions d’obligations liées à l’ESG profite à la fois aux émetteurs et aux investisseurs, tout en reflétant l’importance d’adhérer à des normes ESG. Les investisseurs adeptes d’une vision ESG ont la volonté de dialoguer avec les représentants des marchés émergents pour comprendre leur profil et encourager des améliorations au regard des critères ESG, tandis que les responsables de ces pays sont ouverts au dialogue pour obtenir des financements.

Résoudre les problèmes ESG avec des finances réduites

L’investissement responsable polarisant de plus en plus l’attention, les progrès des pays émergents par rapport aux objectifs de développement durable des Nations unies devraient faire l’objet d’une surveillance renforcée. Pour ce faire, les outils à disposition des investisseurs ne cessent d’évoluer, mais quoi qu’il en soit, l’ouverture et la communication seront les maîtres mots pour les pays souhaitant recueillir plus de financements.

Nous voyons bien que pour beaucoup, ces pays disposent de ressources limitées et que la résolution d’une grande partie des enjeux de développement durable nécessite un engagement de capital. Cependant, il existe des mesures peu coûteuses et dont l’impact peut être considérable.

Premièrement, nous pensons que la création d’un bureau ou d’une agence spécifique pour les questions des parties prenantes et la communication des avancées par rapport aux indicateurs ESG peut réellement porter ses fruits en favorisant une baisse des coûts de financement. La transparence sera ainsi probablement renforcée et permettra de quantifier les objectifs et les progrès vers leur réalisation.

Deuxièmement, les pays souhaitant devenir des emprunteurs de choix doivent réfléchir à une meilleure protection des droits de créanciers, notamment par le biais d’un perfectionnement de la législation en matière de faillite. Le Brésil et l’Inde ont récemment agi dans ce sens, mais les investisseurs demeurent dans l’ensemble assez frustrés par la lourdeur des processus dans la plupart des pays émergents. Leur simplification pourrait faciliter une augmentation des flux entrant à la fois sur les marchés actions et obligataires de ces pays.

À quoi ressemble un dialogue ESG exemplaire dans les pays émergents ?

La prise en compte du développement durable et de l’environnement par les gouvernements et les investisseurs est une bonne chose. Mais en plus, l’intégration de ces considérations dans les politiques publiques au quotidien peut permettre aux pays émergents de réduire leurs coûts d’emprunt et d’améliorer leur croissance économique.

  • Les questions sociales , comme l’inégalité des genres, peuvent avoir un impact direct sur les perspectives économiques à long terme d’un pays. Par exemple, d’après un rapport de la Commission économique et sociale des Nations unies dans les pays d’Asie et du Pacifique, l’accès limité des femmes aux opportunités de carrière coûte chaque année entre 42 milliards et 46 milliards USD à la région.

    L’inégalité renforce la pauvreté et l’insécurité alimentaire, qui peuvent créer des désordres sociaux et faire le lit du populisme en l’absence de contrôle. Les manifestations de grande ampleur peuvent entraîner des grèves qui nuisent à l’activité économique. Et une fois au pouvoir, les dirigeants de partis populistes ont tendance à creuser les déficits budgétaires et la dette publique, mettant en danger la future capacité d’emprunt des pays.

  • Les problèmes de gouvernance ont trait à des questions telles que la structure du gouvernement, y compris la transparence et la séparation des pouvoirs. Un pouvoir centralisé, par exemple, peut être un signe avant-coureur de risques. La structure du gouvernement peut avoir des répercussions directes sur le plan financier en pénalisant les notes de solvabilité et les scores de gouvernance dans les évaluations ESG. Un système judiciaire juste et efficace aide à promouvoir l’activité économique et les affaires, et réduit la criminalité. La qualité de la gouvernance d’un pays reflète aussi sa capacité à gérer les crises, dans des situations allant des conflits aux pandémies.

  • Les problèmes environnementaux tournent autour du changement climatique et couvrent notamment la protection contre les dommages physiques, l’assurance contre les pertes financières et le ralentissement du réchauffement de la planète. L’amélioration des normes de construction des bâtiments, par exemple, peut atténuer les risques financiers réels. Et en cas de catastrophe naturelle, des fonds d’urgence ou de prévoyance soutiennent le pays et contribuent à réduire les primes de risque de ses obligations. Enfin, les pays ont tout intérêt à défendre activement leur réputation environnementale. Une inertie en matière de préservation ou face au changement climatique peut donner lieu à des sorties de capitaux, une dépréciation du taux de change et une accélération de l’inflation.

  • Les objectifs généraux de développement durable sont aussi importants. Selon nous, les pays qui cherchent à développer leur capacité énergétique ont plus d’avantages à investir dans les sources renouvelables, même si les coûts initiaux sont plus élevés. À long terme, les ramifications sont positives : réduction du coût marginal d’exploitation et des émissions, avec pour conséquence une amélioration de la qualité de l’air et de l’eau potable. Une gestion responsable des ressources peut également renforcer la résistance future du pays concerné.
     

Pour finir, nous invitons les pays à adopter rapidement des objectifs de développement durable. La maladie jusqu’alors inconnue du COVID-19 est devenue une pandémie mondiale en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Nous pensons que l’effet boule-de-neige du changement climatique peut même aller encore plus vite, et pour les pays qui ne seront pas suffisamment préparés, la facture risque d’être salée.

S’ils ne font pas l’objet d’une attention adéquate, les enjeux ESG auront un coût économique et pourront contribuer à limiter les investissements extérieurs aux domaines strictement nécessaires. En revanche, les pays qui feront preuve de proactivité face à ces problèmes seront d’une part préparés pour un avenir plus durable, et d’autre part en capacité de bénéficier d’investissements à des taux préférentiels.

Il fut un temps où la résolution des enjeux ESG était considérée comme hors de la portée financière des pays émergents. C’est aujourd’hui un problème que ces pays ne peuvent plus se permettre d’ignorer.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB et peuvent évoluer à tout moment.