Comprendre la structure des obligations ESG

31 mai 2021
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Nous sommes convaincus que les obligations liées aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) aideront à construire un monde meilleur et plus durable. L’engouement des investisseurs pour ce type d’obligations est tout aussi important. Toutefois, avec la récente multiplication des structures obligataires ESG, l’univers d’investissement devient plus complexe... et potentiellement déroutant.

Évaluer une obligation ESG suppose de ne pas se contenter d’analyser la situation financière de son émetteur : il faut s’intéresser aussi au cadre qui les régit et à sa compatibilité avec le profil de durabilité global de l’entreprise émettrice. En d’autres termes, pour prendre les bonnes décisions, les investisseurs doivent comprendre les différentes structures et leurs implications.

De nombreux investisseurs se sont déjà familiarisés avec les obligations vertes, dont la création remonte à 2007. Les obligations vertes financent un ou plusieurs projets précis ayant un impact bénéfique pour l’environnement. Depuis, les entreprises ont émis de nouveaux types d’obligations pour financer divers projets écologiques, sociaux et durables (Illustration).

Le tout dernier en date, l’obligation basée sur des indicateurs clés de performance (KPI), est une structure fondée sur des objectifs. Elle encourage l’émetteur à atteindre des normes ESG plus strictes dans toute son activité au lieu de financer un projet en particulier. Ces initiatives procurent aux émetteurs une grande flexibilité pour lever des fonds pour des causes liées à l’ESG.

La multiplication des obligations en lien avec l’ESG renforce la nécessité de bien comprendre leurs différences techniques et leurs implications en termes d’investissement.

Structures basées sur des projets

Malgré la popularité grandissante des structures plus récentes, les obligations vertes représentent toujours la catégorie d’actifs de financement ESG la plus importante, avec plus de 1 000 milliards de dollars d’encours à fin janvier 2021, selon la Climate Bonds Initiative. Nous les apprécions car leur structure établit un lien clair entre le capital investi et les bienfaits pour l’environnement, et cette combinaison fait ses preuves dans de nombreux secteurs.

Elles comportent toutefois quelques subtilités que les investisseurs doivent avoir en tête. Les produits de chaque émission doivent financer un ou plusieurs projets écologiques régis par un cadre et un calendrier précis. Mais les créanciers ne peuvent pas obliger l’émetteur à utiliser l’argent pour les projets indiqués ou à les réaliser dans les temps. Dans les faits, les investisseurs en sont réduits à se fier à la réputation de l’entreprise émettrice et doivent être certains de ses références.

Mais surtout, il faut être sûr que les projets défendus par l’émetteur sont vraiment bons pour l’environnement et qu’ils ne font pas l’objet d’une classification erronée (« greenwashing »). Cela signifie qu’il faut vérifier que les indicateurs fixés pour le rapport d’impact du projet sont spécifiques, concrets et crédibles. Par exemple, les investisseurs peuvent être amenés à devoir s’assurer qu’un projet visant à réduire les émissions de CO2 le fera bien dans des proportions significatives.

L’Europe est le théâtre d’une évolution qui permet d’encadrer certains types de projets à fort impact, à savoir la création par l’Union européenne (UE) d’une taxonomie détaillée des activités durables à laquelle les investisseurs peuvent se référer pour vérifier que les émissions obligataires vertes ont bien pour objectif d’atténuer le changement climatique ou de s’y adapter. Dans la mesure du possible, le produit d’une émission verte doit être employé à des fins conformes à la taxonomie de l’UE. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les entreprises de la zone euro — notamment les émetteurs à haut rendement — qui hésitent à émettre des obligations vertes car la taxonomie leur permet d’identifier plus facilement les actifs verts.

Nous surveillons étroitement des évolutions similaires dans d’autres régions du monde, comme en Chine. Entre-temps, les principaux fournisseurs d’indices ont élaboré leurs propres tests pour déterminer si les obligations sont vraiment vertes. Ces tests peuvent toutefois s’avérer subjectifs et ne sont pas exhaustifs. Par conséquent, la présence d’un titre dans un indice d’obligations vertes n’atteste pas réellement son caractère écologique.

Les obligations sociales fonctionnent de la même manière mais financent des projets ayant des bienfaits d’un point de vue social. Il peut s’agir par exemple de nouveaux bâtiments d’intérêt commun, de programmes d’enseignement pour des catégories de personnes défavorisées ou du financement de lits d’hôpitaux supplémentaires dans des régions à faible revenu.

En 2020, cette classe d’actifs a connu un regain d’activité avec des émetteurs comme l’agence nationale italienne Cassa Depositi e Prestiti, qui a eu recours à cette structure pour répondre à l’urgence créée par le Covid-19 et pérenniser la reprise de l’économie et des collectivités en Italie.

Parmi les instruments basés sur des projets, on compte aussi les obligations axées sur la durabilité et les obligations axées sur les Objectifs de développement durable (ODD). Les produits des premières servent à financer des projets à la fois sociaux et environnementaux, tandis que dans le cas des secondes, les causes éligibles peuvent être plus vastes et correspondre à un ou plusieurs des ODD de l’ONU.

Comme pour les obligations vertes, les investisseurs doivent mener à bien leur propre due diligence de tous les émetteurs d’obligations basées sur des projets et de la crédibilité de leurs projets.

Structures basées sur des objectifs

Les produits des obligations basées sur des KPI (ou obligations basées sur la durabilité) sont destinés à des usages généraux de l’entreprise et non à un projet précis. L’année 2021 a été marquée par une multiplication des émissions de ce type car la flexibilité quant à l’utilisation des produits a ouvert la porte à de nombreux émetteurs à haut rendement ou des marchés émergents, dont certains issus d’industries polluantes qui ont engagé une transition vers des processus plus respectueux du climat.

Les obligations basées sur des KPI reposent sur un KPI au niveau de l’entreprise émettrice. Si celle-ci ne parvient pas à atteindre le KPI dans les délais impartis, elle est pénalisée par une augmentation du coupon de l’obligation. Par conséquent, les investisseurs doivent étudier la stratégie globale de durabilité de l’entreprise et déterminer si le KPI donné est compatible avec cet objectif.

Avec ces instruments, il existe une incitation financière directe et exécutoire pour encourager l’émetteur à agir, au lieu de compromettre uniquement le risque de réputation. Ce type de structure oblige l’entreprise à rendre des comptes sur l’exécution d’une stratégie descendante appelée à transformer sensiblement son profil de durabilité, par opposition à une approche qui consisterait simplement à identifier et isoler un ensemble d’actifs verts tout en poursuivant le reste de l’activité comme avant.

Voilà pourquoi nous apprécions certaines structures basées sur des KPI. Par exemple, nous pensons que des KPI relatifs aux gaz à effet de serre, alignés avec l’initiative « 2 Degrees Investing », se prêtent bien à des secteurs très polluants comme l’énergie, le ciment et la fabrication de certains produits chimiques.

Une réserve possible au sujet de ces structures est que les investisseurs bénéficieront de la hausse du coupon si l’émetteur n’atteint pas son objectif. Certains considèrent cet aspect comme une incitation mal placée ; pour notre part, nous voyons cela comme le phénomène qui résulte d’une rétrogradation de note de solvabilité : nous ne voulons pas qu’elle se produise, mais nous attendons un dédommagement si elle a lieu. À l’avenir, des obligations basées sur des KPI pourraient être développées avec différentes incitations qui renforceraient l’alignement des entreprises avec les objectifs des investisseurs.

Cela dit, il convient tout de même de surveiller ces structures étant donné la flexibilité inhérente à ces émissions quant à l’utilisation de leur produit, qui crée un risque de « greenwashing ». Les KPI doivent être choisis et étalonnés avec soin. Et les investisseurs doivent entretenir un dialogue étroit avec l’émetteur afin d’avoir des informations sur ses avancées et de mieux comprendre les outils déployés pour parvenir au KPI visé.

La due diligence reste décisive sur un marché des obligations ESG en pleine évolution

Même si les investisseurs ont maintenant à disposition un vaste éventail d’obligations ESG, il est indispensable de réaliser une due diligence détaillée pour analyser les spécificités de chaque structure et comprendre en quoi elles contribuent à la stratégie de durabilité de l’entreprise émettrice. Le bon choix dépendra également du portefeuille de l’investisseur et de sa propre approche en matière d’ESG.

Une chose est sûre toutefois : le marché continue d’évoluer pour offrir plus de choix et de transparence.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB. Les opinions peuvent évoluer au fil du temps.