Comprendre l'empreinte carbone de votre portefeuille obligataire

31 mai 2022
6 min read

La transition vers une économie neutre en carbone* est un enjeu d’importance vitale et, pour la faciliter, les investisseurs durables doivent surveiller l’empreinte carbone des obligations d’entreprises qu’ils ont en portefeuille. Toutefois, les indicateurs conventionnels ne suffisent pas, loin s’en faut, à comprendre l’empreinte carbone d’un portefeuille obligataire.

La transition climatique est un enjeu colossal pour les investisseurs et les obligations d’entreprises ont un rôle crucial à jouer pour rendre l’économie neutre en carbone.

Commencer par des indicateurs simples

Dans un premier temps, les investisseurs ont besoin de rapports simples pour pouvoir se faire une idée de l’impact de leur portefeuille sur le climat. C’est ce qui a amené un certain nombre d’agences, dont MSCI, à créer un large éventail d’indicateurs de l’empreinte carbone qui comparent les caractéristiques carbone d’un portefeuille avec celles d’un indice de référence.

Pour les investisseurs obligataires, l’indicateur le plus pertinent est l’intensité carbone moyenne pondérée d’un portefeuille. Cet indicateur mesure l’empreinte carbone d’un portefeuille au travers du volume des émissions de dioxyde de carbone par unité de chiffre d’affaires (tonnes eqCO2/million USD).

Cet indicateur présente plusieurs avantages : il est applicable à toutes les classes actifs, facile à calculer et permet de se passer des données relatives à la capitalisation boursière ou au chiffre d’affaires requises pour d’autres indicateurs (liés à la détention d’actions). Enfin, il peut être exprimé avec deux chiffres : un score pour le portefeuille et un score pour l’indice de référence.

Comprendre les limites

Un indicateur aussi simple et concis comporte inévitablement certaines contraintes. Tout d’abord, il s’agit uniquement d’un instantané. Autrement dit, il manque de vision prospective et, de ce fait, ne tient pas compte des plans échafaudés par les entreprises pour réduire leurs émissions de CO2. Par exemple, il pénalise les gros utilisateurs d’énergies fossiles tels que les opérateurs de services aux collectivités quand bien même ils auraient une stratégie de transition mûrement réfléchie en faveur des sources d’énergies renouvelables.

Par ailleurs, il ne rend pas compte des nuances dans l’utilisation du carbone. Le Protocole GES établit une distinction entre les sources directes (scope 1) et les sources indirectes d’émissions de CO2 (scopes 2 et 3) selon qu’une entreprise émet elle-même le CO2 dans le cadre de son activité (fabrication, par exemple) ou en tant que consommateur d’énergie (chauffage ou refroidissement) ou bien en amont ou en aval de sa filière (déplacements professionnels, chaîne d’approvisionnement et distribution). Les fournisseurs de données et d’indicateurs conventionnels relatifs au climat peuvent mesurer de façon fiable les émissions des scopes 1 et 2 mais commencent à peine à prendre en compte les émissions de scope 3, un exercice pour le moins complexe.

Enfin, les outils existants permettant de rendre compte de l’intensité carbone ne font pas de distinction entre l’empreinte carbone des obligations conventionnelles et celle des obligations vertes ou d’autres structures obligataires ESG. Ces structures permettent de lever des capitaux soit pour financer un projet écologique précis via l’émission d’obligations vertes, soit pour soutenir la réduction de l’usage du carbone à l’échelle d’une entreprise au moyen d’obligations basées sur des indicateurs clés de performance (KPI).

En résumé, l’intensité carbone moyenne pondérée d’un portefeuille est un indicateur qui prend en compte des faits élémentaires mais ne dit rien des intentions ou de la responsabilité des entreprises en portefeuille. En particulier, il ne dit pas si les entreprises se sont engagées à atteindre des objectifs précis en matière de lutte contre le changement climatique dans le cadre de leur stratégie.

Reconnaître que l’atteinte de la neutralité carbone suppose un engagement

Les investisseurs en obligations qui cherchent à faciliter la transition vers une économie neutre en carbone ont besoin d’informations plus précises sur l’évolution future des émissions de leur portefeuille et sur les intentions des émetteurs sous-jacents. Après tout, pour mener à bien cette transition, il faut que les entreprises s’engagent à décarboner leurs activités, ce qui suppose une planification en amont.

D’après nous, un portefeuille d’obligations durables doit faire la part belle aux entreprises qui ont pris des engagements concrets en matière de décarbonation et défini des stratégies mûrement réfléchies pour atteindre leurs objectifs.

Pour ce faire, nous avons développé une approche analytique susceptible d’apporter des informations plus prospectives et plus éclairantes.

Identifier les principaux enjeux du développement durable

En partant des données de MSCI, nous décomposons le score d’intensité carbone moyenne pondérée d’un portefeuille afin d’obtenir une visibilité au niveau des différents émetteurs. Ensuite, émetteur par émetteur, nous analysons chaque titre en nous posant deux questions.

Premièrement, la stratégie de l’entreprise émettrice est-elle alignée sur des objectifs de décarbonation reconnus ? Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur des études indépendantes de fournisseurs externes de données pour vérifier et évaluer le plan de décarbonation de chaque entreprise. Même si la méthode employée peut varier selon les fournisseurs, cela nous donne une idée du degré d’alignement des entreprises sur l’Accord de Paris : des plans et des éléments probants d’une volonté de maintenir les émissions de CO2 en deçà d’un niveau synonyme d’un réchauffement de deux degrés Celsius d’ici 2050. Nous pouvons également voir quelles entreprises ont une stratégie de décarbonation cohérente avec un réchauffement de 2 °C et avec les Engagements pris à Paris, celles qui ne respectent pas l’Accord de Paris ou qui n’ont pas communiqué d’informations adéquates.

Deuxièmement, comment les entreprises financent-elles leur transition vers la neutralité carbone ? Nous pensons que l’émission d’obligations vertes — ou d’autres structures obligataires ESG avec des objectifs précis — est souvent un moyen intéressant pour les entreprises de mettre en œuvre leur plan de transition. Pour certains secteurs qui en sont à un stade plus précoce du processus de décarbonation, il est peut-être judicieux d’émettre des obligations basées sur la durabilité. Ce type d’instruments engage les entreprises à se décarboner indépendamment des facteurs externes, ce qui réduit la probabilité d’un changement de cap. Par exemple, dans l’industrie pétrolière et gazière, une augmentation des prix des hydrocarbures rend les nouveaux projets d’exploration et de production plus attrayants, au risque de contrarier les plans de décarbonation.

Dans la figure ci-dessous, nous montrons les résultats de cette analyse nettement plus exhaustive et prospective d’une stratégie durable.

Dans cet exemple, l’intensité carbone moyenne pondérée d’un portefeuille durable est inférieure d’environ un tiers à celle de l’indice de référence. Par ailleurs, le portefeuille comporte beaucoup plus d’obligations vertes que l’indice de référence et est nettement plus exposé proportionnellement aux entreprises qui ont pris des engagements précis en faveur du climat.

Avoir une vision d’ensemble

Dans la mesure où les émissions de scope 3 couvrent un large éventail de sources possibles (et où les entreprises ne les calculent/communiquent pas de manière cohérente), les indicateurs conventionnels peuvent difficilement donner une vision d’ensemble. Par exemple, certains émetteurs du secteur de la distribution incluent le transport de marchandises dans le scope 3 sans prendre en compte l’empreinte plus vaste de leur chaîne d’approvisionnement. Mais dans la plupart des secteurs, les émissions de scope 3 représentent le gros de leur empreinte carbone et nous en tenons compte lorsque nous constituons des portefeuilles durables pour nos clients.

De même, il convient de faire attention aux réductions d’émissions de CO2 qui reviennent simplement à « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Si un constructeur automobile brésilien prévoit de remplacer les moteurs diesel fortement émetteurs par des moteurs alimentés à l’éthanol, cela peut sembler une grande victoire... jusqu’à ce que l’on prenne en compte le coût environnemental de la déforestation de l’Amazonie.

Il convient donc de ne jamais perdre de vue la situation dans son ensemble et de se demander constamment si l’analyse conventionnelle reflète fidèlement la réalité.

Une idée précise des étapes de la transition

Les investisseurs doivent avoir une idée précise les grandes étapes et de l’objectif final du processus de décarbonation engagé par une entreprise. Nous sommes généralement sceptiques à l’égard des stratégies de décarbonation qui reposent sur un hypothétique progrès technologique futur ou sur l’achat de grandes quantités de crédits carbone. En outre, nous pensons que les investisseurs doivent privilégier des objectifs fondés sur la science. Le Guide 2020 sur le financement de la transition climatique de l’International Capital Markets Association (ICMA) présente quelques normes élémentaires utiles qui seront probablement développées dans les éditions futures.

Enfin, les investisseurs doivent encourager des objectifs ambitieux et rechercher des améliorations constantes visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le dialogue avec les dirigeants d’entreprises est essentiel pour comprendre les progrès réalisés.

La transition vers une économie neutre en carbone est un vaste sujet, qui est de plus en plus en vogue. Les données, le niveau de détail et la science qui sous-tend la décarbonation sont en train d’évoluer. Certains indicateurs de base ont créé un socle appréciable mais les investisseurs devront rester attentifs à l’évolution des connaissances et se tenir prêts à adopter de nouvelles analyses pour mieux comprendre l’empreinte carbone de leur portefeuille obligataire.

* Une économie neutre en carbone est une économie compatible avec la limitation du réchauffement de la planète à 1,5 °C à l’horizon 2050, tel que prévu dans l’Accord de Paris.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB et peuvent évoluer à tout moment.

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