Transition vers les énergies renouvelables : le difficile chemin de la durabilité

10 novembre 2021
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La flambée des prix de l'énergie met en lumière les difficultés de la transition vers les énergies renouvelables. Le besoin continu de pétrole et de gaz pendant la phase de transition soulève des questions complexes quant à l'équilibre entre impératifs environnementaux et préoccupations sociales sur le chemin de la neutralité carbone.

Le secteur de l'énergie est aujourd'hui responsable d'environ trois quarts des émissions de gaz à effet de serre. Il est évident que les sources d’énergie renouvelables constituent la seule solution efficace à long terme au réchauffement de la planète. Mais pour l’heure, le renchérissement de l'énergie (voir illustration ci-dessous) met les entreprises et les consommateurs sous pression.

Si les tendances actuelles persistent, les cours risquent à nouveau de grimper en flèche. Et si les décideurs politiques et les investisseurs ne parviennent pas à planifier d’un point de vue stratégique le passage aux énergies renouvelables, il sera difficile d’atteindre l’objectif ultime fixé dans l'Accord de Paris (neutralité carbone d’ici 2050 et limitation du réchauffement de la planète à 1,5 °C) et d’empêcher l’emballement climatique.



Quels sont les facteurs à l'origine de la crise énergétique actuelle ? Tel un véritable raz-de-marée, la demande a bondi lorsque le travail a repris après le choc du COVID-19. Mais alors que des conditions météorologiques inhabituelles entravaient la production d’énergie issue de sources renouvelables, des perturbations ont affecté les approvisionnements en hydrocarbures à travers l'ensemble de la planète. L’aversion des investisseurs à l’égard des combustibles fossiles comme le pétrole et le charbon ne joue qu’un rôle mineur dans l’envolée des prix que nous observons actuellement. La hausse devrait selon nous ralentir l’an prochain dès lors que plusieurs facteurs temporaires s’atténueront. Cela étant, compte tenu des pressions que les actionnaires et autres parties prenantes exercent sur les entreprises du secteur de l’énergie afin que celles-ci réduisent leurs investissements dans le pétrole et le gaz, les problèmes actuels sont probablement un avant-goût des pénuries à venir.

Le déséquilibre entre l’offre et la demande ne peut que s’aggraver

Pour les éviter, le monde doit assurer un équilibre raisonnable entre l'offre et la demande d'énergie pendant la période de transition. Sur le plan de la demande, la consommation d'énergie augmente normalement en parallèle avec la croissance de la population mondiale et du PIB. D’ici 2050, la planète pourrait compter deux milliards d’habitants supplémentaires et l’économie mondiale doubler (selon les estimations du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies de 2019). Dans un tel contexte, atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 nécessite une augmentation considérable de la production d’énergie renouvelable, d’énormes progrès en matière de consommation de carburant et un changement radical de comportement de la part des consommateurs. Or si la production d’énergie renouvelable a considérablement augmenté, elle part néanmoins de très loin. En termes absolus, les nouvelles capacités de production d’énergies renouvelables mises en service sont insuffisantes au regard des projections actuelles de croissance de la demande. En outre, les consommateurs sont susceptibles de se rebeller de plus en plus face à des prix et des propositions qui vont pénaliser leur mode de vie.

Les pays développés montrent la voie en matière de production d’énergie renouvelable, mais les dépenses engagées dans le monde en faveur des énergies propres ne représentent que la moitié de ce qui serait nécessaire, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). En ce qui concerne les hydrocarbures, la feuille de route de l'AIE suppose que le monde pourrait atteindre la carbo-neutralité d'ici 2050 en puisant uniquement dans les réserves existantes, tant que les taux de croissance des sources d'énergie propre sont au diapason. Autrement dit, si les dépenses dans les énergies renouvelables demeurent insuffisantes, le monde sera confronté à un déficit énergétique chronique.

L’exploration pétrolière et gazière décline

Cette tendance est en partie imputable aux pressions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) qui freinent les investissements dans le secteur pétrolier et gazier, déjà atones depuis plusieurs années (voir illustration ci-dessous).

Les entreprises sont exhortées à la fois à rémunérer les actionnaires et à investir dans la transition énergétique plutôt que dans les combustibles fossiles. De surcroît, les investissements dans les énergies issues des hydrocarbures se caractérisent par de longs délais de mise en production et les dépenses d'investissement ont été insuffisantes pour maintenir la production à moyen terme, compliquant d’autant la planification de la transition.



De fait, le monde est tributaire des grandes décisions d'investissement dans le pétrole et le gaz qui ont été prises avant l'effondrement des cours pétroliers en 2015. Si rien ne change, les tensions sur les marchés des hydrocarbures risquent encore de s’accentuer, avec à la clé une envolée des prix encore plus forte que prévu.

Les investisseurs se sont détournés du secteur de l'énergie pour deux raisons. Tout d’abord, les préoccupations ESG dont il fait l’objet pourraient conduire à une nouvelle baisse des multiples de valorisation. En raison du désengouement pour le secteur, les valeurs pétrolières ont d’ailleurs vu leur valorisation chuter vertigineusement, le ratio cours/flux de trésorerie disponibles étant proche de son plus bas niveau en 25 ans (voir illustration ci-dessous). D’autre part, un effondrement de la demande en hydrocarbures pourrait rendre « obsolètes » les réserves inutilisées et leur faire perdre toute valeur.

Les craintes d’une dévalorisation des actifs nous paraissent injustifiées. Nous pensons que la valorisation des titres du secteur énergétique repose essentiellement sur une analyse des flux de trésorerie actualisés basée sur les projets existants. Par conséquent, elle ne tient aucunement compte des champs qui ne sont pas encore en production ou qui produiront prochainement. La durée de vie des réserves de la plupart des compagnies pétrolières et gazières est d’environ 10 ans, une période au cours de laquelle les combustibles fossiles joueront un rôle déterminant pour assurer une transition énergétique maîtrisée et suffisamment courte pour que certains titres du secteur pétrolier et gazier procurent à leurs investisseurs des performances satisfaisantes. Par ailleurs, si la défiance des investisseurs continue d'agir comme un frein supplémentaire à l'investissement, les prix de l'énergie resteront élevés, dopant du même coup la rémunération des actionnaires.

Trouver l’équilibre entre préoccupations environnementales et sociales

Pour les investisseurs soucieux des enjeux ESG, l’hostilité que rencontrent les géants de l’énergie est compréhensible au vu des dégâts environnementaux causés par les combustibles fossiles. Cependant, en raison de la dynamique de la transition vers les énergies renouvelables, nous pensons qu'il y a aussi une dimension sociale à prendre en considération, car ce sont les pays et les populations pauvres qui seront le plus durement touchés par un déficit énergétique.

Par exemple, si le manque d'électricité entrave l'irrigation dans les pays pauvres, ceux-ci seront confrontés à des pénuries d’eau et de nourriture. Dans les pays développés, la flambée des prix pourrait contraindre les plus démunis à choisir entre se nourrir et chauffer leur logement durant l’hiver.

Les décideurs auront du mal à préserver le consensus en faveur de la transition énergétique si les gens souffrent et si les entreprises ferment en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie. Combien de temps peuvent-ils passer outre au mécontentement des électeurs ? Comme le souligne l'AIE :

« La transformation globale du secteur de l’énergie ne peut être réalisée sans la participation active et volontaire des citoyens. Ce sont eux en fin de compte qui tirent la demande de biens et de services liés à l'énergie. C’est pourquoi les normes sociales comme les choix personnels joueront un rôle central pour mettre le système énergétique sur la voie de la durabilité »

Une perspective élargie permet de dégager des solutions pratiques

Face à cette situation complexe, gouvernements et investisseurs doivent adopter une vision plus nuancée des problématiques ESG pour permettre une transition crédible vers la neutralité carbone. Si les conséquences négatives à court terme pour la société sont légion, il sera difficile d'atteindre l’objectif à temps.

Actuellement, certaines grandes compagnies pétrolières et gazières réaffectent les flux de trésorerie générés par les hydrocarbures pour investir et développer leurs activités dans le domaine des énergies renouvelables, y compris les infrastructures connexes telles que les bornes de recharge de véhicules électriques dans les stations-service. L’abandon des hydrocarbures les plus polluants comme le charbon au profit de ceux plus propres comme le gaz naturel constitue également une étape intermédiaire importante de ce processus.

Partant, nous pensons que les compagnies pétrolières et gazières dotées de stratégies de transition énergétique crédibles font partie intégrante de la solution et méritent davantage d’attention de la part des investisseurs. En outre, à mesure qu’elles affinent leurs plans de transformation, ces entreprises dégageront de la valeur grâce aux activités de nouvelle génération dans les énergies renouvelables et les stations de recharge. L'industrie des hydrocarbures a développé une grande expertise dans certains domaines critiques de la transition énergétique. Certaines sociétés du secteur pétrolier et gazier apparaissent donc comme des partenaires naturels des gouvernements et d’autres parties prenantes (voir illustration ci-dessous).

La mobilisation est un facteur clé du succès de la transition

La crise climatique suscite inévitablement des réactions émotionnelles. Mais pour s'attaquer à un problème de cette ampleur, calme et collaboration sont de rigueur. Comme l’a fait remarquer le président Joe Biden lors de la COP26, « il n’était tout simplement pas rationnel de penser que nous allions pouvoir passer aux énergies renouvelables du jour au lendemain. » Une transition complète vers les énergies renouvelables prendra plusieurs dizaines d'années, et, dans l’intervalle, les combustibles fossiles continueront de jouer un rôle essentiel et nécessaire, par exemple dans les transports et la production d'électricité et de produits chimiques.

L’implication des investisseurs sera déterminante pour accélérer la transition. Chez AB, nous discutons régulièrement avec les entreprises en portefeuille pour comprendre comment elles luttent contre le changement climatique et les enjoignons de prendre des mesures conformes à nos directives sur les meilleures pratiques, qui seront bénéfiques tant pour la société que pour la pérennité de leurs flux de trésorerie. De telles actions incluent, par exemple, la réduction du torchage du gaz, le contrôle des émissions et la planification stratégique pour assurer leur avenir à long terme dans un monde décarboné.

Il est également important que les investisseurs s’engagent auprès des équipes de direction des entreprises dans le secteur des énergies renouvelables. Les solutions liées à une énergie décarbonée – y compris l’adoption des véhicules électriques – peuvent elles-aussi comporter des problématiques ESG spécifiques au niveau de leurs chaînes d'approvisionnement. Nous devons nous assurer que ces dernières sont également gérées de manière responsable.

S'abstenir d'investir ou se désengager des compagnies pétrolières et gazières a un prix. Les investisseurs n'ont plus accès aux équipes de direction des entreprises et se voient privés de l'influence nécessaire pour négocier de meilleurs résultats, tant avec les principaux émetteurs de gaz à effet de serre qu’avec les autres entreprises de la chaîne de valeur.

Repenser l'analyse des valeurs pétrolières et gazières

La flambée des prix de l'énergie devrait nous servir de mise en garde sur les risques de la transition vers les énergies renouvelables. Les enjeux ESG sont rarement unidimensionnels, et, s’agissant de la transition énergétique mondiale, nous pensons que l’analyse des investissements doit tenir compte de problématiques environnementales et sociales à la fois profondes et complexes. Certaines sociétés pétrolières et gazières devraient être évaluées au regard de leur volonté d’agir de manière responsable en contribuant à l'évolution de l'économie mondiale vers des sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement. Leur participation est essentielle pour que le processus de transition soit suffisamment robuste pour avoir une réelle chance de succès.

Les opinions ici exprimées ne sauraient être considérées comme une recommandation en vue de réaliser une quelconque transaction, un conseil en investissement ou le résultat de recherches. Elles ne reflètent pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des équipes de gestion de portefeuille d’AB et peuvent évoluer à tout moment.