De fait, le monde est tributaire des grandes décisions d'investissement dans le pétrole et le gaz qui ont été prises avant l'effondrement des cours pétroliers en 2015. Si rien ne change, les tensions sur les marchés des hydrocarbures risquent encore de s’accentuer, avec à la clé une envolée des prix encore plus forte que prévu.
Les investisseurs se sont détournés du secteur de l'énergie pour deux raisons. Tout d’abord, les préoccupations ESG dont il fait l’objet pourraient conduire à une nouvelle baisse des multiples de valorisation. En raison du désengouement pour le secteur, les valeurs pétrolières ont d’ailleurs vu leur valorisation chuter vertigineusement, le ratio cours/flux de trésorerie disponibles étant proche de son plus bas niveau en 25 ans (voir illustration ci-dessous). D’autre part, un effondrement de la demande en hydrocarbures pourrait rendre « obsolètes » les réserves inutilisées et leur faire perdre toute valeur.
Les craintes d’une dévalorisation des actifs nous paraissent injustifiées. Nous pensons que la valorisation des titres du secteur énergétique repose essentiellement sur une analyse des flux de trésorerie actualisés basée sur les projets existants. Par conséquent, elle ne tient aucunement compte des champs qui ne sont pas encore en production ou qui produiront prochainement. La durée de vie des réserves de la plupart des compagnies pétrolières et gazières est d’environ 10 ans, une période au cours de laquelle les combustibles fossiles joueront un rôle déterminant pour assurer une transition énergétique maîtrisée et suffisamment courte pour que certains titres du secteur pétrolier et gazier procurent à leurs investisseurs des performances satisfaisantes. Par ailleurs, si la défiance des investisseurs continue d'agir comme un frein supplémentaire à l'investissement, les prix de l'énergie resteront élevés, dopant du même coup la rémunération des actionnaires.
Trouver l’équilibre entre préoccupations environnementales et sociales
Pour les investisseurs soucieux des enjeux ESG, l’hostilité que rencontrent les géants de l’énergie est compréhensible au vu des dégâts environnementaux causés par les combustibles fossiles. Cependant, en raison de la dynamique de la transition vers les énergies renouvelables, nous pensons qu'il y a aussi une dimension sociale à prendre en considération, car ce sont les pays et les populations pauvres qui seront le plus durement touchés par un déficit énergétique.
Par exemple, si le manque d'électricité entrave l'irrigation dans les pays pauvres, ceux-ci seront confrontés à des pénuries d’eau et de nourriture. Dans les pays développés, la flambée des prix pourrait contraindre les plus démunis à choisir entre se nourrir et chauffer leur logement durant l’hiver.
Les décideurs auront du mal à préserver le consensus en faveur de la transition énergétique si les gens souffrent et si les entreprises ferment en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie. Combien de temps peuvent-ils passer outre au mécontentement des électeurs ? Comme le souligne l'AIE :
« La transformation globale du secteur de l’énergie ne peut être réalisée sans la participation active et volontaire des citoyens. Ce sont eux en fin de compte qui tirent la demande de biens et de services liés à l'énergie. C’est pourquoi les normes sociales comme les choix personnels joueront un rôle central pour mettre le système énergétique sur la voie de la durabilité »
Une perspective élargie permet de dégager des solutions pratiques
Face à cette situation complexe, gouvernements et investisseurs doivent adopter une vision plus nuancée des problématiques ESG pour permettre une transition crédible vers la neutralité carbone. Si les conséquences négatives à court terme pour la société sont légion, il sera difficile d'atteindre l’objectif à temps.
Actuellement, certaines grandes compagnies pétrolières et gazières réaffectent les flux de trésorerie générés par les hydrocarbures pour investir et développer leurs activités dans le domaine des énergies renouvelables, y compris les infrastructures connexes telles que les bornes de recharge de véhicules électriques dans les stations-service. L’abandon des hydrocarbures les plus polluants comme le charbon au profit de ceux plus propres comme le gaz naturel constitue également une étape intermédiaire importante de ce processus.
Partant, nous pensons que les compagnies pétrolières et gazières dotées de stratégies de transition énergétique crédibles font partie intégrante de la solution et méritent davantage d’attention de la part des investisseurs. En outre, à mesure qu’elles affinent leurs plans de transformation, ces entreprises dégageront de la valeur grâce aux activités de nouvelle génération dans les énergies renouvelables et les stations de recharge. L'industrie des hydrocarbures a développé une grande expertise dans certains domaines critiques de la transition énergétique. Certaines sociétés du secteur pétrolier et gazier apparaissent donc comme des partenaires naturels des gouvernements et d’autres parties prenantes (voir illustration ci-dessous).